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Reviewed by:
  • Face à la persécution. 991 Juifs dans la guerre
  • Laure Blévis
Nicolas Mariot et Claire Zalc Face à la persécution. 991 Juifs dans la guerre. Paris, Odile Jacob, 2010, 304 p.

L’ouvrage de Nicolas Mariot et Claire Zalc est original à plus d’un titre. Adoptant une approche résolument micro-historique et monographique, les auteurs se proposent de suivre sur toute la durée de la seconde guerre mondiale les trajectoires et le destin souvent tragique de la population des Juifs de la ville de Lens. Ce faisant, il s’agit de mesurer au plus près des vies individuelles de ces Juifs lensois dont le lecteur découvre les noms, les familles, les occupations ou les adresses, les effets et les conséquences concrètes de la politique d’exclusion antisémite dans la France occupée.

L’approche des auteurs est singulière également quant à la méthode adoptée : bien loin de s’en tenir à des analyses qualitatives, comme le font la plupart des recherches adoptant une perspective micro-historique, les caractéristiques sociales, les itinéraires, les décisions des acteurs étudiés, ainsi que les dispositions antisémites dont ils sont les victimes (identification, aryanisation, rafle, déportation, extermination) font aussi l’objet d’un traitement quantitatif. Derrière ce choix méthodologique assez inédit, il s’agit de renouveler l’analyse sociologique des décisions individuelles et de leurs motivations, en particulier en situation extrême. Là où les recherches sur les guerres et les crises tendent à expliquer les choix des individus à travers un prisme sinon moral, du moins rapporté à des normes ou à des valeurs (obéissance ou consentement, naïveté ou lucidité, résistance ou collaboration), cette étude se propose de donner toute leur place non seulement aux dispositions des acteurs, mais plus encore à leurs réseaux de sociabilité (familiaux, professionnels . . .) ou à la situation historique et sociale précise dans laquelle les acteurs ont eu à agir. Par exemple, lorsqu’il s’agit de comprendre ce qui détermine le choix de se déclarer comme Juif à la suite de l’ordonnance du 18 novembre 1940 qui fait obligation « à toute personne juive [de] se présenter sans délais auprès du préfet de l’arrondissement dans lequel elle a son domicile pour se faire inscrire sur un registre spécial », les auteurs soulignent (avec des tests khi-carré à l’appui) l’importance de la situation familiale ou de la variable âge et, au contraire, la faible significative de la variable du statut professionnel : les jeunes et célibataires se déclarent beaucoup moins que les chargés de famille, et ce quel que soit leur statut social. Ce qui influe sur le choix de se plier ou non à l’injonction étatique ne semble pas relever de [End Page 680] considérations morales ou politiques, ni même de différences de compétence (sociale ou cognitive), mais de la prise en compte, pour l’individu concerné, des conséquences de son acte sur ses proches. Les jeunes et les célibataires sont d’autant plus enclins à refuser l’auto-déclaration, et ce faisant à s’inscrire dans une démarche illégale, que cet acte ne peut avoir des conséquences que sur leur propre destinée, quand les chargés de famille incluent dans leurs décision de refus tous les membres de leur famille.

Si la recherche de Nicolas Mariot et Claire Zalc ne s’inscrit pas explicitement dans la perspective de la sociologie du droit, elle est susceptible cependant d’intéresser le sociologue et l’historien du droit antisémite de Vichy, en ce qu’elle permet de mettre en perspective certains travaux classiques sur la question, en particulier autour de la définition juridique du Juif mise en œuvre pendant la période de Vichy. À la suite du célèbre article de Danièle Lochak sur la doctrine sous Vichy3, la discussion a surtout porté sur le rôle des juristes (universitaires ou magistrats) et de leur positivisme dans la légitimation de la législation antisémite de Vichy, soit pour soutenir que le positivisme des juristes, en normalisant...

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