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19 2 Le sentiment de la nature chez Abdou Salam Baco. Vers une autobiographie naturelle Christophe Cosker Université de Mayotte Unes terres ardens et caudes Jean Bodel, Le Jeu de saint-Nicolas, v.369, p.82. La critique littéraire anglaise dispose, grâce à John Ruskin d'une figure de style qui n'a pas d'équivalent strict en français et que l'on appelle pathetic fallacy. Il s'agit de transmettre des sentiments à un paysage, c'est-à-dire d'opérer un échange entre l'humain et le naturel. Cette figure de style est surtout caractéristique des écrivains romantiques. En France, l’expression « sentiment de la nature » traduit mieux ce procédé que le mot hypallage, moins en vogue du reste aujourd’hui. L’usage de cette figure de style incite le lecteur à s'intéresser à la vision de la nature propre à un auteur, une vision humaine dans la mesure où elle sert à traduire métaphoriquement ses préoccupations. Dans le paysage littéraire, c'est notamment chez Rousseau qu'on étudie volontiers le sentiment de la nature, lui qui s'en fait le chantre, tant par son goût pour l'herborisation que par son intérêt pour l'homme. L'objet du présent article n'est pas d'étudier un auteur du XVIIIe siècle européen, mais un écrivain maorais contemporain : Abdou Salam Baco. Cet auteur de l'Océan indien, né en 1965, publie, en 1991, dans la collection « Encres noires » de l'Harmattan - maison d'édition dont le nom provient d'un vent africain, chaud et poussiéreux, qui souffle du sud - un récit autobiographique dans lequel la nature maoraise occupe une place importante. Sans mettre en œuvre un dispositif allégorique, l'écrivain décrit tantôt sa vie, tantôt la nature ; et cette description n'est pas purement et 20 simplement ornementale mais symbolique. Il convient donc ici d'étudier les correspondances entre les épisodes de la vie d'un homme, de sa naissance à son entrée au collège, et le paysage qui l'entoure : son environnement. Les paysages dans lesquels l'auteur baigne sont d'abord physiques et placés sous le signe de l'eau, celle qui entoure l'île de Mayotte comme celle qui tombe du ciel. Ils deviennent ensuite symboliques, la ville s'opposant à la brousse parce que le premier espace est clos et étouffant tandis que le second est libre et ouvert, ce qui permet un mouvement d'aération car, comme le titre l'annonce d'emblée, Brûlante est ma terre est un roman de la chaleur. Une Enfance au fil de l'eau La nature est d'abord abordée de façon factice par un auteur qui semble avant tout soucieux de bien écrire, adoptant un registre soutenu émaillé par un vocabulaire courant, voire familier, qui est tantôt celui de l'enfant ou de l'adolescent, tantôt celui de l'adulte militant. Dans cette perspective, la nature est décrite comme « une grande surface riante »1 , c'est-à-dire par le truchement d'une périphrase contenant une épithète de nature, « riant », que l'on trouve aussi chez Rousseau, et qui se comprend comme une personnification faisant de la nature un être accueillant. Mais ce lieu commun est une fleur de rhétorique peu littéraire dans la mesure où elle ne témoigne pas d'une vision du monde originale de la part de l'auteur. Elle se réduit en outre à une approche superficielle qui va néanmoins peu à peu se transformer en un approfondissement de l'homme à son contact. Dans cette perspective, la nature est un abri ou un asile : La chance est avec nous pour une fois. Nous ne sommes pas loin de la forêt des cocotiers, nous pourrons donc nous y glisser sans 1 Abdou Salam Baco, Brûlante est ma terre, Paris, L'Harmattan, coll. « Encres noires », 1991, p. 16. [18.224.63.87] Project MUSE (2024-04-25 16:18 GMT) 21 trop de problèmes (…) Les moustiques, maîtres des lieux, semblaient apprécier notre intrusion dans leur royaume car pour une fois nous ne pouvions allumer un feu pour les mettre hors de notre portée.2 Dans cet épisode, la forêt, espace naturel, devient un abri pour la famille « serrer-la-main » poursuivie par des ennemis « sorodats ». La vision naïve d'une nature protectrice et bienfaisante n'est pas...

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