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169 8 La nature ré-enchantée de Bessora : la pétro-critique par les mythes dans P Petroleum Étienne-Marie Lassi University of Manitoba Ainsi que l’ont démontré de nombreux critiques, le rapprochement entre les théories postcoloniales et écocritiques n’est pas du tout aisé1 . Il prête d’ailleurs à controverse parfois, étant donné les objectifs a priori contradictoires des deux disciplines. Alors que les théories postcoloniales s’intéressent aux effets sociopolitiques et culturels du rapport de force inégal entre le Nord et le Sud (à l’échelle globale) ou entre le centre et la marge (au niveau local), les théories écocritiques étudient l’impact de l’action de l’homme sur l’environnement. Avec des visées aussi divergentes, on pourrait croire que la question écologique n’a pas d’intérêt pour les études postcoloniales ou, du moins qu’elle n’y figure que comme un prétexte ou un argument permettant d’instruire le procès des oppresseurs du peuple, le péril environnemental n’étant pas objectivement représenté. Le risque écologique y serait donc reconstitué à dessein pour être le reflet d’une réalité sociale oppressante. Dans cette perspective, la critique postcoloniale produirait principalement un discours anthropocentrique, qui n’aborde pas frontalement la question de la protection des espaces et des espèces menacés, mais qui insiste lourdement sur le clivage entre les riches et les pauvres. Il importe donc, pour mieux cerner le rapport entre les deux approches, de s’interroger sur la possibilité d’intégrer le discours écologique à la critique postcoloniale sans raviver les oppositions binaires entre pauvres et riches, colonisés et colonisateurs, premier monde et tiers1 Voir Huggan, Graham, « Postcolonial Ecocriticism and the limits of Green Romanticism », Journal of Postcolonial Writing, 45(1), 2009, pp. 3-14. 170 monde. Autrement dit, comment incorporer les questions de la réappropriation de l’environnement, de l’identité et de l’accès équitable aux ressources environnementales des sujets postcoloniaux aux préoccupations écologiques objectives, scientifiquement attestées, qui exigent des solutions globales? L’environnementalisme entre le local et le global Poser cette question revient à s’interroger sur la place du local dans la gestion de la crise écologique mondiale. Pour François Duban, les cultures locales jouent un rôle fondamental de sensibilisation des populations aux crises écologiques car, écrit-il,« […] lorsque des menaces environnementales existent ou sont mises en évidence localement, et qu’elles portent atteinte à la santé de la population, les clivages classiques anthropocentrique/biocentrique environnementalisme dominant /environnementalisme radical n’ont plus cours devant la réalité du danger2». Mais pour que l’impact de l’environnementalisme local ne soit pas confiné à un lieu physique donné, il convient pour chaque collectivité de reconnaître à travers le« contrat naturel » que propose Michel Serres « qu’elle vit et travaille dans le même monde global que toutes les autres », créant ainsi un lien qui unit sa terre à la Terre3 . Michel Serres soutient par ailleurs que toute action efficace sur l’écologie mondiale doit s’ancrer dans une culture locale, pour au moins deux raisons. D’une part, la nature réagit globalement aux actions locales et, d’autre part, les mesures dites globales, décidées à partir des données et autres chiffres estimés en laboratoire pourraient manquer de prise sur la réalité. Selon Michel Serres, en effet, la plupart de ceux qui interviennent dans le processus de la prise des décisions, de l’expert scientifique à l’administrateur, en passant par le journaliste et le juriste, sont des hommes de l’intérieur qui vont au contact de la réalité seulement le temps de collecter des données. Parce qu’ils n’habitent pas l’espace 2 François Duban, L’écologisme aux États-Unis : histoire et aspects contemporains de l’environnementalisme américain, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 75. 3 Michel Serres, Le contrat naturel, Paris, Flammarion, 1992, p. 78. [3.133.131.168] Project MUSE (2024-04-25 15:46 GMT) 171 par où ils passent, ils peuvent l’altérer en toute ignorance des conséquences; parce qu’ils ne vivent pas dehors avec les choses et que le climat n’influence pas leurs travaux, ils ont « désappris à penser selon (l)es rythmes et (l)a portée »4 de la Terre que leurs décisions affectent pourtant. Par conséquent, il devient important de tenir compte du point de vue des paysans...

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