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181 12 Vivre et Survivre E Egidius Berns Université de Tilburg (Pays-Bas)1 La vraie vie est la vie bonne Depuis les débuts de la philosophie occidentale en Grèce, les philosophes font un lien entre économie et vie. Aristote, qui analyse longuement dans le premier livre de la Politica ce qu’il appelle l’oikonomia, la loi du ménage, rattache directement l’économie à la vie. Selon lui, a faut comprendre l’économie comme une sorte de gestion ou management de la vie. En cela elle ressemble à la médecine, Aristote ne manque pas de le remarquer. L’économie prend en charge les nécessites - anagkaioi - sans lesquelles la vie - zooé - est impossible2 , Comme être vivant, l’homme n’échappe pas aux besoins et aux désirs auxquels a ne peut être répondu que par la ‘production de biens d’usage, propres à les satisfaire. En cela il n’est pas libre. Il n’est pas libre de ne pas se soucier de la faim et du froid. Une vie réussie ne se contente cependant pas de ces activités non-libres, bien qu’elles soient inévitables et déterminent dans une certaine mesure la vie. Aristote appelle cette autre manière de vivre, « le bien vivre» -« eu zen ». Celui-ci est une activité libre, comme lorsque nous faisons de la science, de la politique ou entretenons des amitiés. Avec ces idées, Aristote a défini la structure fondamentale de la société et de l’éthique occidentale. Dans la vie a n’y a pas que de la vie, de la vie nue3 , mais il y a aussi de la vie bonne. Dans un certain sens on 1 Egidius Berns (1939) est professeur émérite de philosophie sociale et d’éthique sociale de l’Université de Tilburg aux Pays-Bas. II a public: des livres et articles sur la philosophie de I’ économie. 2 Aristote, Politica, 1253b25. 3 J’emprunte cette expression à Giorgio Agamben, Homo sacer. Le pouvoir souverain et la vie nue, Paris, Seuil, 1997. Si je ne partage pas I ‘opposition tranchée qu’il construit dans le texte d’Aristote entre zooe et bios et qui sous-tend son argumentation 182 peut donc dire que la vie se dédouble en une vie nue et une vie bonne. La vie nue est le domaine de l’économie qui, certes, est nécessaire, mais qui doit être limite par le domaine de la vie bonne, si l’existence humaine veut garder un sens. Nos oppositions modernes entre la contrainte et la liberté, entre le fanatisme et l’esprit éclaire, entre l’intérêt et le désintéressement, entre le particulier et l’universel, entre le prive et le public font encore écho à cette limite antique. Aristote est obsède par cette limite. Car, pense-t-il, et nous encore dans nos meilleurs moments, la vie, et avec elle l’économie, tend d’elle-même à excéder toute limite que le bien vivre pourrait imposer, pour ne se préoccuper que de sa propre vie nue dans un mouvement vers toujours plus. « La raison de cette attitude [consistant, selon Aristote, ‘à sauvegarder et à augmenter à l’infini son avoir en monnaie’] c’est que certains se préoccupent de vivre mais non de vivre bien ; et comme cette préoccupation engendre un désir sans borne, ils désirent aussi des moyens illimites »4 . Selon lui, l’économie ne garde donc pas la mesure parce que la vie ne peut garder la mesure. Le désir de vivre est démesure et de ce fait l’économie aussi, des -que l’illusion de la richesse qu’entraine l’argent comme pouvoir d’achat indifférencie, prend possession d’eux. C’est seulement si nous nous laissons guider par la vie bonne, que la vie et l’économie peuvent être ramenées à la mesure humaine, que la richesse perd son caractère illusoire et qu’elles reçoivent toutes deux une place sensée et raisonnable dans la totalité de la destination humaine. Pour cette raison aussi, a pu prendre forme l’idée que l’économie devait être soumise à l’universalité du droit et à la décision politique comme expression de l’intérêt général. Il faut remarquer qu’Aristote approche cette thématique en termes de limite. Pour lui, il est manifestement vrai que la vie tend vers une fin naturelle - la vie bonne - mais que...

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