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3 I Repères De Porto-Novo A La Rue D’Ulm Dans ce lycée Victor Ballot de Porto-Novo reconnu, à l’époque, comme la plus grande pépinière de la future élite dahoméenne, une silhouette intriguait et fascinait tout à la fois: celle d’un jeune professeur de philosophie d’origine sénégalaise qui, dans la première moitié des années cinquante, démontrait par sa seule présence que même la philosophie, discipline réputée, à tort ou à raison, difficile, était à la portée des Africains. Son nom: Alassane N’Daw. Je n’ai pas eu la chance d’être son Clèves: il était déjà parti avant que je n’arrive, en 1959-1960, en Terminale. Je n’ai cependant pas eu à me plaindre: Helene Marmotin, française comme l’étaient alors la plupart de nos professeurs, était un esprit méthodique, qui préférait la sèche rigueur de l’analyse aux grandes envolées lyriques. Dès ses premiers fours, elle nous mettait en garde: «La philosophie, ça s’apprend». Donc, pas de savoir infus, pas de sagesse congénitale. Il fallait se mettre au travail. Je crois avoir retenu de cette année d’initiation un goût prononcé pour l’analyse conceptuelle et une fascination certaine pour les doctrines de la liberté. J’avais avidement dévoré L’existentialisme est un humanisme, parmi la vingtaine ou la trentaine d’ouvrages qui composaient la maigre, mais précieuse bibliothèque du lycée. Que l’existence précédât l’essence, me confortait dans ma résistance spontanée à tous les fatalismes, mon rejet de toute doctrine tendant à figer l’homme individuel ou collectif ou à lui interdire l’espérance, la confiance en soi, la certitude de pouvoir se surpasser, l’appel du lointain (Sartre, 1946). C’est cependant à mon professeur d’«hypokhâgne» 1 , André Bloch, que je dois d’abord mon intérêt pour Husserl. Ce brillant pédagogue, artiste dont la voix mélodieuse emportait d’autant plus sûrement l’adhésion qu’elle semblait 1 «Hypokhâgne» désigne en argot, on le sait, la classe de leurres supérieures, et«khâgne», la première supérieure, Ce sont les années de préparation au concours d’entrée à l’Ecole Normale Supérieure, section lettres. 4 couler de source sans aucun besoin d ‘un support écrit, a consacré une partie de son cours, en 1960-1961 au lycée Henri IV, à Paris, à faire découvrir à nos dix-huit ans la phénoménologie husserlienne, en commentant tout spécialement l’article célèbre, La philosophie comme science rigoureuse (Husserl, 1911). D’’autres volets du cours étaient consacrés à Descartes (avec une insistance particulière sur la signification du cogito), Kant, Hegel («L’histoire de la philosophie, c’est la philosophie même»), Kierkegaard, et quelques autres auteurs modernes ou contemporains. Le cours, dans son ensemble, semblait vouloir démontrer le mouvement en marchant, en répondant à sa manière à une seule question: «qu’est-ce que la philosophie ?» - ou plutôt en offrant à chaque élève, à défaut d’une réponse assurée qui relèverait encore d’un dogmatisme subtil, les moyens de produire en lui-même un commencement de réponse, grâce à la fréquentation de quelques grands classiques et à une familiarisation intérieure avec les auteurs. Bloch nous enseignait qu’il n’y a pas de problèmes en philosophie, mais seulement des thèmes; qu’on ne peut attendre de la pensée une assurance qui mettrait fin à son mouvement et que la philosophie est inquiétude perpétuelle. Jamais il ne réfutait, il tachait de comprendre. Hégélien à sa manière, il était davantage enclin à dégager la vérité de chaque doctrine qu’à confronter les doctrines entre elles. Et quand il lui arrivait de les confronter, il s’attachait davantage à en montrer la complémentarité et l’unité dialectique qu’à en souligner les oppositions. C’était de sa part une forme d’élégance, de politesse à l’égard des auteurs. Je ne sais plus lequel de mes camarades s’étonnait un jour, en classe, qu’il ne formulât jamais de lui-même la moindre critique contre un auteur. La réponse fut une citation de Nietzsche, dont je n’ai trouvé les références que tout récemment: «La ou on ne...

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