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171 VI Enracinement Et Liberté Le Temps Des Relectures Je n’ai jamais cru sérieusement que mon père fut mortel. Quand l’évènement s’est produit le 20 aout 1983, le monde, pour moi, s’est effondre. Je devais mettre près de deux ans à digérer le fait tant bien que mal, ne produisant rien pendant la période et me contentant de laisser publier, à l’occasion, des travaux antérieurs. Je dois en partie à l’entourage proche et moins proche, à cette famille élargie qui demeure, en Afrique, un de nos privilèges et à quelques amis, d’avoir finalement accepte cette disparition. Malgré cela, je n’y ai jamais vraiment cru. Wiredu avait, au fond, raison de me chahuter sur mon rapport à Kagamé: je sais maintenant comment naissent les dieux. Dans ma chambre d’hôtel à Montréal, G., qui pour une fois m’accompagnait, avait fait un cauchemar et s’était réveillée en pleurant. Elle l’avait vu plus récemment que moi sur son lit d’hôpital. Je décroche le téléphone. J’appelle chez J. et E.: nous leur avions laisse la petite F., et je voulais qu’elle aille saluer son grand père. C’était déjà, à Cotonou, le petit matin. Je rappellerais une heure plus tard. Mais c’est J. qui appelle au bout de 20 minutes. Il avait préfère y aller lui-même. Il m’annonce l’évènement, survenu la veille au soir. Je donne quelques instructions, et je raccroche. Je ne dis pas ce que j’ai fait juste après. Mais ce matin du 21 aout devait s’ouvrir au Palais des congres de Montréal le dix-septième congrès mondial de philosophie. Le congrès mondial est organisé tous les cinq ans par la Fédération internationale des sociétés de philosophie (FISP), sous l’égide de I’UNESCO. Je devais a l’estime de quelques membres du comité d’organisation, dont Alwin Diemer, directeur de l’Institut de philosophie de l’Université de Düsseldorf, en Allemagne, et président sortant de la FISP, d’avoir été invite à prononcer une des conférences prévues pour la séance solennelle de clôture le 27 aout, sous la présidence d’honneur du gouverneur général du Canada. Comme à l’accoutumée, je n’avais pas fini de rédiger mon texte. Je comptais sur les muses pour m’inspirer, une fois en situation, ce que je tenais à l’avance pour une des plus belles improvisations de ma vie, sans me douter un seul instant que cela pouvait être, au contraire, le plus 172 catastrophique des bégaiements. Comme à l’accoutumée, je surestimais mes forces. Je me rends au Palais des congres, Je vois Venant Cauchy, le dynamique président du comité d’organisation, qui devait devenir à l’issue du congrès, président de la FISP pour cinq ans. Humain et compréhensif malgré l’inévitable tension des derniers préparatifs, il m’écoute. On me trouve une salle. Je m’enferme deux ou trois heures pour finir de rédiger mon texte. Je le donne a Alassane N’Daw, qui accepte de le lire. Je prends conge des amis, et nous embarquons G. Et moi sur le premier vol pour Paris, puis Cotonou. Ecrit dans ces conditions, «Pièges de la différence» est probablement le texte le plus conciliant que j’aie jamais produit. La critique de l’ethnophilosophie n’y est pas seulement reprise. Elle y est précisée et actualisée, relativisée aussi, dans un réel effort pour rendre raison, autant que possible, des démarches adverses. J’observais au passage, en suivant le père Smet, que le titre français de l’opuscule de Tempels, La philosophie bantoue, était une traduction douteuse. Bantoe-filosofie pouvait tout autant se comprendre: réflexion philosophique sur les Bantu - oïl la philosophie ne serait plus apparue «comme une réalité donnée dans la culture étudiée, mais comme une grille de lecture, un modelé d’interprétation librement choisi par l’analyste». Les travaux de Smet avaient en outre permis une meilleure connaissance de l’arrière-plan politique de Bantoe-filosofie et des articles polémiques du franciscain flamand en faveur des Noirs, contre les abus de la colonisation beige. Il fallait, en tenant compte de ces nouvelles données...

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