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105 Chapitre 3 La récupération politique de l’ivoirité Le concept d’ivoirité n’est donc pas apparu ex nihilo dans le débat politique ivoirien. Il est l’aboutissement d’un processus en germination pendant la période coloniale, de maturation pendant le parti unique, d’éclosion et de putréfaction dans la période multipartite de la vie politique ivoirienne. L’ivoirité présente de prime abord une image bifide. Elle est d’abord voulue par ses initiateurs comme un nationalisme généreux et émancipateur, voire salvateur (salutaire). Les détracteurs y ont plutôt vu un nationalisme étroit, chauvin et ethnique. Il y a un accord tacite de toutes ces figures sur la nécessité de la renaissance sinon de la conservation des valeurs traditionnelles africaines et celles de Côte d’Ivoire en particulier. A cette époque (et aujourd’hui encore), l’hybridité dans ce monde récemment décolonisé est conçue comme un déracinement, une dépersonnalisation, le fait « des peuples qui ont rompu les amarres avec leur patrimoine culturel, des peuples en qui leurs ancêtres ne se reconnaissent plus » (Coulibaly 2010 : 26). L’Ivoirité serait-elle ainsi une sorte de tentative de renaissance ? Présentée de telle manière, elle ne peut alors que séduire les jeunes… Il est donc possible de saisir le cheminement et les « avatars » du concept de l’ivoirité dans la Côte d’Ivoire postcoloniale, de comprendre comment il s’insinue durablement dans la vie politique ivoirienne, comment il devient une clé pour la compréhension des enjeux politiques et pourquoi il nous semble durable et confligène… Pour ce faire, l’image du mouvement est principe heuristique. Emprunté à la théorie musicale, il peut recouvrir des sens divers. Dans la présente analyse, il désigne une partie ou « section » délimitée dans le temps, selon son rythme propre, de la symphonie« funeste » qu’est l’ivoirité. Cela étant, nous sommes conscient de ce jugement négatif porté sur l’ivoirité, d’une continuité (mais non d’une linéarité) entre les différents moments observés. A- De l’ivoirité culturelle et anthropologique à l’ivoirité politique Quelques (rares) voix discordantes se sont élevées parmi les personnes invitées à participer à la réflexion sur et autour du concept d’ivoirité – pierre angulaire du projet de société d’Henri Konan Bédié. Avec du recul, leurs 106 propos retentissent comme des conseils, des objections ou même des avertissements. D’abord à propos de la question de l’intégration nationale, soit l’équation Ivoiriens/non Ivoiriens. T. Ngatoukou, dans un article sonnant comme un avertissement, insiste sur la question de l’intégration nationale de tous les Ivoiriens et sur celle de la culture de la paix. L’ivoirité doit aller de pair avec l’intégration nationale (Ngatoukou 1995 : 120). Ensuite, l’akanité saillante et lancinante. Certes, l’ivoirité est l’« âme collective de la nation ivoirienne », l’« affirmation de la liberté de notre pays », la « prise en main de la Côte d’Ivoire par elle-même » (Kouba 1995 : 145). Mais pour ce participant, « le vrai problème de l’ivoirité se pose avec plus d’acuité entre Ivoiriens qu’entre Ivoiriens et non Ivoiriens » (Kouba 1995 : 1946). Il semble que l’ivoirité ait des effets pervers entre Ivoiriens, notamment celui de produire une graduation dans la qualité d’Ivoirien : « qui est plus ivoirien que qui ? »… Un tel problème, grave en soi, fait probablement allusion au débat sur l’akanité. Cela représente en soi un grave problème posé par l’ivoirité soit entre les ivoiriens eux-mêmes. L’autochtonie est à la base de la définition du vrai ivoirien et de la hiérarchisation des ivoiriens… En somme, cet article, attire l’attention sur le fait que l’ivoirité se pose aussi dans les relations interethniques entre les autochtones eux-mêmes. Vient ensuite la question même de la formalisation d’un nationalisme, ou d’un patriotisme d’Etat… Kouakou N’guessan François est perplexe quant aux définitions et à la portée de l’ivoirité, lorsqu’il se pose plusieurs questions : concept ségrégationniste, moyen de disqualification, « l’ivoirité n’est-elle pas plus large que la citoyenneté (juridique) ivoirienne » ? (Kouakou 1995 : 164) Ne définit-elle pas à la fois le cadre et le mode d’expression de la logique politique d’une quête d...

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