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Chapitre Quatrième - Les Actions et les Situations
- LANGAA RPCIG
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47 Chapitre Quatrième Les Actions et les Situations A. Phases de dégradation d’une image de marque On hésite à parler d’action à propos d’un récit-reportage où il ne se passe rien. Le héros du Mandat d’Ousmane Sembène n’agit pas, mais subit les effets de la mauvaise grâce et de la cupidité des agents de l’administration et des membres de sa communauté ; d’une rebuffade à l’autre, son image de marque se dégrade progressivement jusqu’à s’estomper en fin de récit. 1. Un seigneur des temps anciens Les étapes de cet anéantissement progressif rythment le passage de l’état initial à l’état final. Magistral (p. 130), repu, jouteur imbattable (p. 132), mari autoritaire (p. 133) à « l’allure seigneuriale » (p. 134), ayant le « désir d’en imposer à son prochain » par son « goût vestimentaire [qui] le rehaussait toujours d’un degré sur son interlocuteur » (p. 135), « client attitré » de Mbarka ayant barre sur lui (p. 137), tel apparaît Ibrahima Dieng au début de son aventure. C’est le héros envié par le médiocre Gorgui Maïssa – à qui le marchand refuse « de faire crédit » (p. 138-139). Aussi Dieng empruntet -il l’autocar pour se rendre à la poste et consent à payer la place de Gorgui Maïssa qui le suit. Une telle assurance l’enveloppe et fait impression qu’au moment où il tend l’avis de mandat au scribe, celui-ci, « convaincu », accepte d’attendre patiemment qu’il ait perçu son mandat pour le régler (p. 144). Ici commence le deuxième acte. 48 2. L’empoignade et l’injure C’est le tour de Dieng au guichet. Il se présente, son avis à la main. Le préposé exige une pièce d’identité. Dieng n’en a aucune : ni carte d’identité ni permis de conduire ni livret militaire. Gorgui Maïssa exhibe ses papiers, mais se fait rabrouer par l’employé qui conseille à Dieng d’aller à la police de son quartier quérir une carte et de revenir avant quinze jours.« Gorgui Maïssa et Dieng, déçus traînèrent un temps devant le guichet. » (p. 145) Au moment de sortir, Dieng se fait empoigner par l’écrivain public, qui l’injurie et le chiffonne. Dieng subit ainsi sa première déconvenue et la première injure. Au commissariat où ils arrivent « exténués, transpirants » de la chaleur et de la marche obligée, Dieng se fait rudoyer d’abord par la voix hautaine et inhumaine d’un agent qui l’expulse d’un couloir où il est défendu d’entrer (p. 147) :« Décontenancé, mordillant sa lèvre inférieure, lissant deci , de-là son boubou, replaçant son bonnet d’elhadj, à pas lents, il sortit. » (p. 148) Le héros conserve néanmoins le sens de l’honneur et de sa dignité, puisqu’il toise dédaigneusement son compagnon et se montre sidéré devant la basse flagornerie de Gorgui Maïssa s’improvisant le griot d’un jeune homme habillé à l’européenne, qui s’en débarrasse, gêné, en échange d’un billet de cent francs (p. 149). Arrive le tour de Dieng. Le préposé exige « un extrait de naissance, trois photos et un timbre de cinquante francs » (p. 150). Dieng s’ouvre à lui en montrant l’avis de mandat. Le commis, imperturbable, lui redit les conditions d’obtention d’une carte d’identité. Dieng « se sentit pris de vertige. Des [3.238.228.191] Project MUSE (2024-03-28 12:02 GMT) 49 yeux, il chercha Maïssa. » Mais « le grigou » [...] s’est éclipsé pour ne pas partager » avec l’infortuné le butin de sa flagornerie. Aucune des femmes de Dieng ne croit le récit qu’il fait de son après-midi et de ses déconvenues. 3. La gêne et l’embarras Maintenant que de la boutique de Mbarka la nouvelle s’est répandue que Dieng avait reçu un mandat, commence la revue des membres de la communauté qui viennent crier à l’aide. Voici venir Madiagne Diagne qui avait « juste besoin de cinq mille francs ou tout ce que tu peux m’avancer... peut-être [...] trois kilos de riz ; j’ai entendu dire que tu as reçu cent kilos » (p. 153). Il repartira « avec la moitié d’un kilo de riz », parce que Mety en bonne ménag...