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ix Avant propos L’ouvrage qui suit représente l’ultime développement d’une enquête amorcée voilà un peu plus de trente ans par l’auteur sur une archéologie du savoir du Nègre francophone d’Afrique. Les développements – en cours de publication – qui l’ont précédé s’efforçaient d’analyser, d’une part, la dépréciation que le discours scolaire opère à l’encontre de l’origine sociale familiale de l’enfant qu’il instruit à y répugner ; d’autre part, le conditionnement mental de cet enfant scolaire désaccordé à son régime initial, et qui va générer un adulte extraverti sous les espèces de l’« Africain évolué ». Car deux séries de manuels de lecture française ont principalement concouru, pendant un demi-siècle à peu près, à la double programmation de la répulsion de soi et de l’attraction par l’autre caractéristique des élites francophones d’Afrique noire : la collection des Frères missionnaires Macaire et Grill, demeurée quasi invariante jusqu’aux Indépendances qui l’ont rendue caduque alors ; mais surtout celle de Mamadou et Bineta d’André Davesne, soit auteur unique (livres des cours primaires élémentaires), soit en collaboration avec J. Gouin (livre des cours moyens et supérieur). Produite par deux fonctionnaires, plus impliqués que des religieux dans la mouvance générale de la Métropole et de ses colonies, la collection dite de Mamadou et Bineta a connu deux versions caractéristiques. La première s’enseigna des années 1920 aux années 1940, et concourut à la formation des générations initiales d’élites scolaires coloniales auxquelles elle inculqua un réflexe d’infériorité, par le dénigrement constant de leurs traditions de la culture, en plus de la demande de reconnaissance permanente envers la France, souveraine bienfaitrice. Albert Azeyeh x Inaugurée avec les années 1950, après que du passé la pratique coloniale aura eu fait table rase, la seconde version de ces manuels visait davantage le reconditionnement de l’Afrique dans le sens de la collaboration de ses populations à ce que les anthropologues nomment aujourd’hui l’endocolonisation. Celle-ci se résumait alors en un discours scolaire incitant à la production et à la consommation de rente au profit de la métropole, souveraine marchande, qui avait perdu de sa superbe par le fait de l’effort de guerre aussi bien que des revendications intempestives et coûteuses de l’Indochine et du Maghreb. Ces diverses programmations de livres de lecture en fonction de l’opportunité du moment nous ont semblé mériter d’être déchiffrées à la lumière des discours politiques et des circulaires officielles. Cela, presque un siècle après leur initiation, dans le souci de rendre intelligible le type africain d’homme issu de l’institution scolaire française en colonie. Il s’agissait de remonter l’itinéraire parcouru, à travers leurs lectures en classe, par des générations successives d’écoliers noirs, afin de savoir à quelles sources s’était abreuvé leur imaginaire. Parti en quête de la genèse d’une mentalité collective, au lieu de l’origine déçue, on s’est trouvé en fin de compte en face d’un commencement ; ceci, en conformité avec le cycle de la généalogie contrarié. L’École s’instaure, en effet, comme un foyer spéculaire au travers duquel sont tour à tour envisagés divers postes et pratiques de l’univers circonscrit entre les deux périmètres respectifs de la ville, centripète, et du village, centrifuge : le corps humain, le vêtement, l’habitat sont ainsi passés en revue, étiquetés, normés par un discours invariant. Ce dernier tend à dévaloriser les réponses que l’Afrique noire est susceptible d’apporter aux questions à elle posées par le monde, au profit des solutions trouvées par l’Occident à ses propres problèmes. Solutions qui sont ensuite transposées en Afrique comme les seules idoines et universelles. [3.128.198.21] Project MUSE (2024-04-19 22:37 GMT) Réussite scolaire, faillite sociale : généalogie mentale de la crise de l’Afrique Noire xi Hormis le chant, la danse et ce qu’on a dit « l’excuse du conte », c’est-à-dire la production artistique, presque toutes les élaborations culturelles de l’homme noir comme son système géopolitique se trouvent affect...

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