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3. Réflexions sur la littérature négro-africaine d’expression française
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6 Les étudiants africains et la littérature négro-africaine d’expression française 3 Réflexions sur la littérature négro-africaine d’expression française Yves Benot A première vue, on aurait pu croire que les changements politiques intervenus en Afrique depuis trois ans et la place croissante prise par le continent dans la vie internationale allaient se refléter nécessairement dans les œuvres des écrivains africains. Et l’on devrait alors constater que jusqu’ici le « tournant » ne paraît pas avoir été pris. Néanmoins, même si l’on est porté à regretter que la création littéraire ne se situe pas un peu en avant de l’histoire, il faut admettre que ce furent des choses qui arrivent, et qu’il y a surtout lieu de rechercher quelles conditions particulières ont pu faire obstacle devant les écrivains africains, les empêcher peut-être de passer à une étpae nouvelle. On remarquera tout d’abord que ces réflexions comportent la reconnaissance implicite de l’existence d’une littérature négro-africaine d’expression française pour employer des termes déjà consacrés. Mais si d’une part, cette unité repose sur le fait commun de la domination coloniale française et de la commune protestation contre ce régime, il faut aussi constater que cette dénomination unique trahit encore le point de vue colonial, dans la mesure même où elle définit la littérature des colonisés par la seule référence à la langue, et même à la culture des colonisateurs. A cet égard, elle est moins une reconnaissance de l’aspiration à l’unité qu’une consécration littéraire du partage de l’Afrique. Cela dit, force demeure de reconnaître qu’en effet le développement tardif, je veux dire retardé, de cette littérature ne pouvait pas échapper entièrement, même dans le refus, aux conditions créées par la colonisation. On ne peut pas ne pas tenir compte du handicap constitué pendant des années par l’absence presque totale de presse libre en Afrique même, par l’absence d’imprimeries modernes et de maisons d’édition. Il en est résulté, qu’obligés de passer par les maisons d’édition parisiennes, les écrivains noirs ont trouvé un peu plus de facilités à publier, en revues ou en plaquettes des poèmes que des romans ou en général des œuvres d’une certaine envergure. Le décalage chronologique entre l’épanouissement de la poésie et la floraison romanesque nous paraît trouver ici sa principale raison d’être. On est également obligé de constater que l’existence de la revue Présence Africaine et de ses éditions n’a pas suffi à modifier radicalement cette situation. Peut-être d’ailleurs pour des raisons qui tiennent autant à l’organisation de ce qu’il faut bien appeler le marché littéraire que pour des raisons de fond ; j’entends l’absence d’un programme proprement littéraire. Un fait me paraît caractéristique : le premier roman de Mongo Béti, Ville Cruelle, publié précisément par Présence Africaine, a été sur le plan commercial un échec, alors qu’il est sans doute l’œuvre la plus directe, la plus vigoureuse de son auteur. 7 Les étudiants africains et la littérature négro-africaine d’expression française Qu’en est-il résulté ? Le romancier, à ce qu’il semble, ne s’est pas contenté de changer d’éditeur, mais a infléchi son mode d’expression dans les trois romans suivants, où la vie des colonisés est présentée, en quelque sorte, de biais, et derrière le masque de l’humour. En définitive, le roman négro-africain, quand il a pu naître véritablement et s’imposer, a dû utiliser les méthodes de la littérature dite de contrebande. Il a contribué à dévoiler, aux yeux du public du pays colonisateur, la réalité coloniale, dans ses aspects les plus quotidiens, mais c’est un dévoilement partiel, on le voit chaque jour davantage. La lutte nationale a eu son expression poétique - ce qui signifie, qu’on le veuille ou non, une diffusion moindre – mais ne s’est guère affirmée à travers l’œuvre des romanciers. On peut d’ailleurs se poser ici une question relative aux genres littéraires euxm êmes. Dans une...