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128 Les étudiants africains et la littérature négro-africaine d’expression française 27 Langues et littérature Extrait de L’Etudiant sénégalais Mars 1964 Cheikh Aliou Ndao Nul n’ignore le rôle joué par la littérature militante dans la lutte libératrice des peuples colonisés. Poèmes chantant la liberté, fresques faisant revivre un passé glorieux, romans étalant les horreurs du système colonial, ont largement contribué à la prise de conscience des masses et nourri leur combativité. Une constatation est cependant à faire : tandis qu’en Asie, dans le Moyen-Orient et le Maghreb, les langues autochtones ont servi de support à cette littérature, en Afrique noire et singulièrement dans les territoires colonisés par la France, les écrivains se sont surtout exprimés en langues européennes ; c’est là un fait à déplorer et il convient d’y remédier au plus tôt. Ce n’est pas qu’un nationalisme haineux et étroit nous pousse à rejeter tout ce qui vient du colonisateur pour nous replier sur nousm êmes. Des raisons tangibles et objectives, raisons d’une importance capitale au regard des intérêts de nos peuples militent en faveur de cette reconversion. N’est-il pas légitime et naturel, s’adressant à ses concitoyens, de leur parler la langue qu’ils comprennent ? N’est-ce pas compromettre le développement de nos langues que de ne point exploiter leurs ressources ? En s’exprimant en une langue européenne, l’écrivain africain s’adresse à une minorité d’intellectuels, la grande majorité de ses compatriotes, ceux-là mêmes qui ont besoin d’éducation, de nourriture intellectuelle étant tout bonnement négligés. Or, toute littérature qui ne s’accroche à la formule creuse de « l’art pour l’art » remplit nécessairement une fonction sociale, politique ou religieuse : l’écrivain convie son audience à une sorte de communion où, grâce à la magie de son art, ses idées, ses émotions de-viennent celles de tous. Une sorte de mutuelle influence s’exerce entre lui et les réalités de son milieu. Dès lors, l’écrivain africain qui ne s’exprime qu’en une langue européenne, s’installe dans une littérature amputée de sa fonction naturelle, une littérature où l’on cherche une sorte de consécration plutôt qu’à s’unir à son peuple et le servir. L’artiste solidaire de son milieu, vivant la vie de ses compatriotes, partageant leurs soucis, leurs souffrances, menant les mêmes combats qu’eux, s’adresse d’abord à eux. Qu’on n’aille pas opposer la vaste audience internationale qu’il peut avoir en écrivant en une langue européenne, à l’audience trop restreinte de son milieu. L’argument n’est pas solide : n’oublions pas en effet que les œuvres qui valurent à Tagore le prix Nobel en 1913 avaient été rédigées directement en bengali et traduites ensuite par lui en anglais. 129 Les étudiants africains et la littérature négro-africaine d’expression française Certes, nous nous trouvons aujourd’hui devant un fait accompli : des langues européennes, l’anglais et le français, constituent des langues de liaison permettant à un grand nombre d’Africains de se comprendre. Mais cela ne change rien à ce que nous préconisons, car il n’est nullement question de supprimer l’usage et l’enseignement de ces langues. Il s’agit tout simplement d’accorder à nos langues une place de plus en plus grande, et dans l’enseignement et dans la littérature ; étant entendu que dans un avenir plus ou moins lointain, quelques-unes des langues africaines passeront au premier plan, les langues européennes n’étant alors étudiées que comme langues étrangères. Les avantages qui résulteraient de l’enseignement de nos langues et du développement des littératures vernaculaires sont multiples. Citons-en quelques-uns : 1) Recul rapide de l’analphabétisme ; il est beaucoup plus facile à un adulte d’apprendre à lire et à écrire dans sa propre langue que d’étudier une langue étrangère ; 2) Diminution de la durée des études : il est plus facile d’étudier une quelconque discipline dans sa langue maternelle que dans une autre ; 3) Conservation et enrichissement de notre patrimoine culturel ; 4) Disparition du fossé qui sépare l’intellectuel africain de la masse ; 5) Emancipation culturelle : le combat pour la liberté doit se compléter par la « décolonisation » des esprits. Nous...

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