In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

108 Les étudiants africains et la littérature négro-africaine d’expression française 20 Réflexions sur la poésie dite « Nègre d’expression française » Extrait de L’Etudiant d’Afrique Noire Journal de la FEANF n° 2 avril 1956 Amadou Samb J’ai lu avec un vif intérêt les articles parus dans Présence Africaine sur la poésie nègre d’expression française. L’idée d’organiser un tel débat sur une aussi grande échelle est heureuse. Les discussions qui ont cours donneront, j’en suis sûr, à nos poètes, c’est-à-dire à nos créateurs, une connaissance plus aiguë des exigences du faire en poésie. Cependant, le point cardinal, ce me semble, n’a pas été dégagé avec netteté. On pourrait, en cueillant de-ci, de-là des idées, proposer une manière d’art poétique à l’intention de nos poètes. Ce n’est point mon propos. Le mien est plus modeste, c’est celui d’un apprenti grammairien. Que faut-il entendre par poésie nègre d’expression française ? L’épithète « nègre » peut choquer. Certains, d’ailleurs, n’ont pas manqué de relever cette « absurdité ». Je crois qu’il ne faut rien exagérer. On veut faire ressortir tout simplement la sensibilité des Nègres – non essentiellement différente de celle des autres – mais affinée par des expériences dues à des cir-constances historiques. De plus, les langues négroafricaines , sans parenté aucune avec les langues indo-européennes, nous ont habitués à des démarches de pensée spéciale. Nos conceptions du nombre, de l’esthétique, ne sont pas comparables. Le voca-bulaire de nos langues est constitué, en grande partie, d’un stock de noms concrets ; la mise en œuvre du matériel linguistique, rien, assurément, ne rapproche une de nos langues du français, par exemple. Alors, les conditions initiales étant celles-là, à quelles difficultés doit faire face un poète nègre qui s’exprime en français ? Je voudrais, avant de pousser plus avant, dire brièvement, selon moi, en quoi réside la poésie. Sans hésiter, j’affirme que c’est la forme qui permet d’étiqueter un texte « poétique ». Le seul critère de distinction entre prose et poésie, c’est la mise en œuvre, le choix linguistique, en un mot, le style. Qu’on m’entende bien. Il ne s’agit point de formes traditionnelles : la ballade, sonnet, etc., ni non plus de mètres déterminés. Le poète, comme tout artisan ou artiste, une fois sa matière trouvée, doit la modeler, lui donner une forme en tenant compte – eh oui ! – du sentiment du beau de ses « juges ». Or, qu’est-ce que la forme poétique ? Il y a le rythme, l’harmonie, un régistre particulier, un transfert dans un domaine qui n’est pas celui, ordinaire, de la prose. La langue poétique n’est pas la langue de la prose. L’usage syntaxique peut être différent ; l’agencement des mots répond au rythme, au mouvement général du vers. On fait effort pour traduire aussi fidèlement que possible le désordre émotionnel, le rythme lent ou saccadé perçu pendant nos silences. 109 Les étudiants africains et la littérature négro-africaine d’expression française J’entends d’ici les récriminations de certains. Foin de l’art pour l’art ! Oui. Un poème qui ne serait fait que de procédés de recettes serait mauvais. Le contenu, dans nombre de cas, sinon presque toujours, ajoute à la valeur poétique, la détermine peut-être. Le poète ne doit pas, sans avoir pensé au fond, se donner une forme idéale, simple « récipient » pour contenir des banalités, des vétilles. La forme doit apparaître comme une nécessité du fond en dehors de ses fonctions harmoniques, rythmiques,stylistiques.Difficultéquasi-insurmontable!Lelangagen’estpasexactement superposable à la pensée qui est mouvante. Les émotions que nous ressentons, les vibrations des fibres de notre être fidèlement rendues par la langue poétique. Langue de la trahison, a-t-on pu dire de la poésie. Quoi de plus vrai ! Le langage nous trahit ; il ne nous appartient pas : il est social, il contient des mythes. Il trahit notre pensée actuelle. Ces...

Share