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L’Érôs pédagogique chez Platon et les Stoïciens Valéry Laurand (Université Michel de Montaigne Bordeaux 3 / CREPHINAT) Le but de cet article est de définir la nature et la fonction de l’éros stoïcien dans un rapprochement avec le penseur, de l’éros, et de l’éros pédagogique. Ma première partie (I) constituera un premier survol de ce rapprochement, à travers l’analyse d’un passage assez étonnant d’Épictète, qui, de tonalité fortement platonicienne, semble pourtant, tout en en faisant un usage assum é, rejeter le délire amoureux du philosophe chez Platon. Les deuxième et troisième temps de la réflexion voudraient constituer une discussion de la thèse de l’article fondamental de B. Inwood « Why do Fools fall in Love ? ».1 J’essaierai d’y établir en effet que le discours de Pausanias dans le Banquet n’est peut-être pas le plus pertinent pour illustrer l’eros stoïcien. D’une part (II) parce qu’il n’y a pas, dans le stoïcisme, deux amours, mais une unique pulsion érotique (dont l’importance justifie sans doute qu’on la rapproche de l’oikeiôsis) qui connaît dans le sage et l’insensé deux destins opposés. D’autre part (III), parce que cette pulsion s’achève naturellement chez le sage dans une pédagogie qui tient sans doute plus, nonobstant de notables différences, du discours de Diotime que de celui de Pausanias dans le Banquet. Enfin (IV) ce destin philosophique, c’est-à-dire aussi naturel, de l’amour nous permet de situer les stoïciens dans les distinctions entre trois types d’amours que l’on trouve dans le Phèdre ou les Lois. I Épictète, dans le chapitre 22 du livre I des Entretiens tient un propos à premi ère lecture bien étrange pour un Stoïcien, propos qui, semble-t-il, pourrait être signé de Platon, au moins dans le Banquet et dans le Phèdre, où le philosophe apparaît comme à la fois un amoureux et un fou: 1. Que ferons nous donc ? Telle est la recherche du philosophe, du vrai, de celui qui éprouve les douleurs de l’enfantement (Αὒτη ἐστὶ ζήτησις τοῦ φιλοσοφοῦντος τῷ ὄντι καὶ ὠδίνοντος) : moi, je ne vois pour l’instant ni le bien ni le mal ; ne suis-je pas fou ? Si, sans doute, mais, à présent, puis-je placer le bien à cet endroit-ci, dans les actes de ma résolution (ἐν τοῖς 1 Inwood (1997). 64 VALéRy LAURAND προαιρετικοῖς) ? Tout le monde se moquera de moi. Il y aura toujours un vieillard aux cheveux blancs (γέρων πολιός) les doigts chargés de bagues en or (χρυσοῦς δακτυλίους πολλούς), pour me dire, après avoir secoué la tête : - Écoute-moi, petit : il faut certes philosopher, mais il faut aussi avoir de la cervelle (ἐγκέφαλον ἔχειν) : ce ne sont là que fadaises. Chez les philosophes , tu apprendras le syllogisme, mais ce que tu as à faire, tu le sais, toi, mieux (κάλλιον) que les philosophes. - Homme, pourquoi me blâmes-tu alors, si je le sais ? Que répondre à cet esclave (τούτῳ τῷ ἀνδραπόδῳ) ? Si je garde le silence, lui, il le rompt en criant. Il faut lui répondre ainsi : « Pardonne-moi comme aux amoureux (σύγγνωθί μοι ὡς τοῖς ἐρῶσιν) : je ne m’appartiens pas, je suis fou (οὐκ εἰμὶ ἐμαυτοῦ, μαίνομαι) ».2 La lecture de ce texte ne va pas de soi, et j’en propose l’interprétation générale suivante. Épictète, à la question philosophique classique « que dois-je faire ? » répond d’abord en stoïcien : ignorer où placer le bien et le mal est folie, le placer dans la puissance de sa faculté de juger (les « actes de ma résolution ») est sagesse. Le bien s’exprime dans les actions droites, résultant du partage des choses, cher à l’auteur, entre ce qui dépend de moi et ce qui ne dépend pas de moi. Ne dépendent de moi que les choix conformes à la rationalité. Mais une telle position philosophique se heurte à ce que nous pourrions appeler l’opinion commune, qui place le bien non dans les jugements mais dans les choses. Toute la difficulté du texte provient du dialogue entre Épictète et le vieil homme. On ne sait pas grand-chose de ce dernier, si ce n’est la couleur de ses cheveux, qui atteste de son expérience de « vieux sage », et une caractérisation qui doit être lue, semble-t-il, comme une indication psychologique, l’attachement du vieil homme aux biens extérieurs (les doigts chargés d’or). D...

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