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La lecture stoïcienne du laconisme à travers le filtre de Platon* Sophie Aubert (Université Paris IV – Sorbonne) En conférant au laconisme expressif une substance et une dignité philosophiques , le stoïcisme occupa une place cruciale dans sa constitution en paradigme rhétorique dans la culture antique et contribua de façon décisive à la fortune de cet idéal stylistique.1 Il suivait sur ce point la voie ouverte par Socrate dans le Protagoras, ce qui souligne la parenté originelle entre les choix rhétoriques du Portique et ceux de l’Académie. À l’origine de ces deux traditions stylistiques devenues rapidement divergentes, se trouve une commune admiration pour la brièveté laconique, expression de la tradition sapientiale et gnomique des Anciens. Nous nous attacherons plus précisément dans cet exposé à la lecture stoïcienne du laconisme à travers le filtre de Platon, afin de déterminer dans quelle mesure ce mode d’expression servit d’instrument aux théoriciens du Portique pour élaborer leur vertu du discours la plus singulière, celle de la concision (συντομία), qu’ils voulurent distinguer de la βραχυλογία d’ascendance dialectique et socratique. Plus platoniciens en somme que Platon, les Stoïciens ancrèrent jusque dans leur terminologie stylistique le projet philosophique qu’avait esquissé l’auteur du Phèdre au sujet du laconisme dans une courte et célèbre citation qui servira de point de départ à notre réflexion: Un art authentique de la parole, dit le Laconien, sans attachement à la vérité, ne peut exister et ne le pourra jamais plus tard (Τοῦ δὲ λέγειν, φησὶν ὁ Λάκων, ἔτυμος τέχνη ἄνευ τοῦ ἀληθείας ἧφθαι, οὔτ’ ἔστιν οὔτε μή ποτε ὕστερον γένηται).2 1 * Nous tenons à remercier chaleureusement pour toutes leurs remarques F. Alesse, T. Bénatouïl, M. Bonazzi, C. Gill, B. Inwood, A.M. Ioppolo, V. Laurand, C. Lévy, J. Mansfeld, G. Reydams-Schils, E. Spinelli, C. Steel et T. Tieleman, qui nous ont aidée à améliorer notre texte. Moretti (1995), 67. 2 Plat., Phaedr. 260e5-7. Sauf indication contraire, nous proposons toujours dans notre article des traductions personnelles. 42 SOPHIE AUBERT Une telle maxime affirme le triple lien qu’entretiennent avec la vérité la parole en général,3 l’art oratoire en particulier (ce qui pose la question du statut technique de la rhétorique), et le laconisme pour finir, si l’on admet que la mention du Laconien n’est pas fortuite. Ce dernier point nous semble problématique et l’on peut s’interroger sur sa justification, dans la mesure où l’on ne saurait superposer sans nuances la concision proverbiale des Lac édémoniens et leur goût supposé pour une rhétorique attachée à la vérité. Nous examinerons tout d’abord l’authenticité de la citation du Phèdre puis la signification du mystérieux locuteur laconien qui y figure, avant de nous pencher sur les principales caractéristiques du mode d’expression spartiate relevées par Platon, pour tenter d’y déceler les prémisses d’une pensée du laconisme comme langage mettant en jeu une conception nouvelle de la rhétorique. La coïncidence entre les traits laconiens mis en lumière par Platon et la rhétorique de l’Ancien Portique incitera à se demander plus largement dans quelle mesure se recouvrent les conceptions platoniciennes et stoïciennes de la concision. De la βραχυλογία dialectique et socratique de Zénon à la συντομία de Diogène de Babylonie (ou de Séleucie), la théorie du Portique n’aurait-elle pas connu sur ce point une évolution dont l’analyse stylistique et philosophique du laconisme aurait été l’un des instruments fondamentaux ? Après avoir estimé que l’incise φησὶν ὁ Λάκων (voire la phrase entière) était un ajout apocryphe, quoique d’inspiration platonicienne,4 les éditeurs plaident aujourd’hui pour son authenticité, sans pour autant déterminer s’il s’agit d’une allusion feinte, de la part du philosophe, à un « mot » proverbial , ou bien d’un apophtegme laconien anonyme faisant du parler vrai une 3 Ce lien apparaît chez Platon dès l’Apologie 17b, où Socrate se défend d’être« habile à parler » (δεινὸν λέγειν) – ce qui implique une certaine maîtrise de l’art oratoire – si l’on n’entend pas par cette expression qu’il « dit la vérité » (τὸν τἀληθῆ λέγοντα). Les Stoïciens souscrivaient pour leur part à cette conception exigeante de la rhétorique, à laquelle ils assignaient pour objet la vérité et non plus la vraisemblance ou le probable, à la manière d’Aristote ou de Gorgias. Celle-ci se définissait en effet comme...

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