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Conclusion Francis Akindès On l’aura compris au terme de la lecture de ces contributions. Le stress politique de la société ivoirienne s’explique fondamentalement par la difficulté collective à réinventer un contrat social inclusif parce qu’il règle avec la plus grande humanité la question de la frontière entre le « nous » et le « eux ». Un contrat qui, aux plans constitutionnel et institutionnel, donne la possibilité de continuer à enrichir le « nous », et ce, en conformité avec les idéaux forts de l’hymne national, mais sans biffer le legs historique d’une certaine fabrique de la Côte d’Ivoire. Une Côte d’Ivoire profondément métisse dont la construction fut fortement influencée par la vision houphouëtiste. C’est la méthodologie et la philosophie de ce travail politique que ne semble guère avoir trouvé la classe politique. Une classe politique qui s’est plutôt enfermée dans une grammaire politique usée, largement surdéterminée par un marketing politique des identités primaires (religion, ethnie, etc.). La politique est un jeu. Mais un jeu à haut risque si l’on ne prend pas la peine d’en définir les règles, de les faire partager et respecter par toutes les parties prenantes, ou encore si l’on ne prend guère la peine de rechercher un minimum de consensus pour en changer les termes lorsque cela s’avère nécessaire. Pour revenir sur le compromis houphouëtiste, le pragmatisme politico-économique qui le caractérise, vu sur une durée relativement courte – environ une trentaine d’années – a donné des résultats remarquables, comparés à ceux produits par des expériences concurrentes en Afrique subsaharienne. Mais, rapportés à la longue vie d’une société, au plan politique et économique, ces résultats ont fait l’objet de vives controverses. Replacés dans une perspective plus longue, les acquis de ce pragmatisme politico-économique semblent se dissiper. Comment expliquer cette marche à reculons ? Le mode de gouvernance apparaît comme étant ici un facteur déterminant. Avec le recul nécessaire, lorsque l’on revisite la trajectoire ivoirienne en privilégiant les liens entre les performances affichées à une époque et les contradictions internes du compromis houphouëtiste qui a paradoxalement permis de les produire, l’on revient à l’idée selon laquelle, Côte d’Ivoire : la réinvention de soi dans la violence 252 malgré tout, malgré ses incertitudes, la démocratie, faite de liberté d’expression et de débats, reste la meilleure garantie de préservation durable des acquis d’une société. Elle seule permet de les pérenniser. En cela, nous n’inventons rien en affirmant que c’est le moins mauvais des systèmes politiques, surtout lorsque l’on intègre la dimension temporelle dans l’analyse comparée des compromis générés par les différents systèmes politiques, qu’ils soient dictatoriaux, despotiques, si éclairés soient-ils. Plus qu’un ordre despotique, même éclairé, la démocratie permet de mieux capitaliser dans le temps. L’ingénierie politique des pouvoirs charismatiques faiblement constitutionnalisés survit rarement à leurs architectes. L’usure de l’âge et les incertitudes liées à leur succession compromettent presque toujours la durabilité des réalisations sociales et économiques et la stabilité relative sous haute surveillance par laquelle elles se justifient. Dans le cas de la Côte d’Ivoire, grâce à une personnalisation du pouvoir et à une ingénierie politique particulière faite de méthodes parfois contradictoires, Houphouët-Boigny est arrivé à garantir une stabilité politique et des performances économiques qui se sont révélées peu durables. Il aimait lui-même à dire : « Je préfère l’injustice au désordre », en passant sous silence le fait que l’injustice, en un temps t1, peut devenir la source du désordre en un temps t2. L’histoire politique récente de la Côte d’Ivoire le démontre. La lutte politique s’organise aujourd’hui autour de la gestion des forces et des faiblesses de cet héritage houphouëtiste complexe. Elle oppose partisans nostalgiques du compromis houphouétiste, et partisans d’une Côte d’Ivoire réinventée autour d’une nouvelle idée de nation plus ethnocentrée. Toutes ces contradictions se retrouvent aujourd’hui mobilisées à divers titres par les entrepreneurs politiques, à différentes échelles, dans les discours de justification des positions...

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