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Chapitre 7 Jeunesse, idéologisation de la notion de « patrie » et dynamique conflictuelle en Côte d’Ivoire Francis Akindès et Moussa Fofana Introduction L’objectif de ce chapitre est de questionner les usages politiques de l’idée de patrie dans la dynamique de la conflictualité en Côte d’Ivoire. Mobilisée dans les camps politiques en compétition, la jeunesse s’est engagée dans la violence politique. L’idée de patrie, diversement représentée par les camps politiques, est posée au centre de notre tentative de compréhension des logiques d’action et d’engagement dans la violence par le truchement d’organisations de jeunes aussi bien au Nord (dans la zone sous le contrôle de l’ex-rébellion) qu’au Sud (dans la partie sous contrôle gouvernemental). Nous partons du principe que les imaginaires de la patrie sont un objet et une entrée sociologique pertinents qui permettent non seulement de caractériser les logiques et formes d’engagement des jeunes dans la conflictualité, mais aussi de questionner les identités de ces acteurs, leurs réseaux de relation, leurs perceptions du conflit ainsi que les justifications de leur engagement. L’étude se fonde sur des données primaires recueillies auprès de leaders d’organisations de jeunes constituées dans le nord de la Côte d’Ivoire sous contrôle de l’ex-rébellion, d’une part, et dans la zone gouvernementale au Sud, d’autre part.1 Ces formations se sont soit constituées après l’éclatement de la crise ou existaient déjà. Nous nous sommes intéressés plus particulièrement aux associations et aux structures organisées, actives et explicitement engagées dans l’espace politique. Côte d’Ivoire : la réinvention de soi dans la violence 214 Le contexte de violence Le conflit armé, qui a éclaté en Côte d’Ivoire le 19 septembre 2002, a conduit jusqu’à l’Accord de Ouagadougou, signé le 04 mars 2007, à une partition du pays entre le Nord et le Sud. La dynamique conflictuelle engendrée s’est cependant stabilisée autour d’une ligne de front dont les contours semblent épouser celui des dynamiques identitaires qui animent le champ politique ivoirien depuis l’ouverture démocratique. De part et d’autre de la ligne de séparation, l’on a pu observer des mouvements politiques de jeunes revendiquant un patriotisme auquel ils donnent un contenu différent. En effet, la rébellion armée organisée en un mouvement politique, le Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI), occupant la partie nord du pays, a, au lendemain de ses actions militaires, bénéficié du soutien des populations « nordistes ». Cette rébellion a élargi ses rangs grâce à l’enrôlement volontaire de nombreux jeunes originaires de cette partie du pays. Dans la zone sous contrôle gouvernemental, l’on a pu également observer une constellation d’organisations de jeunes connues sous le vocable « galaxie patriotique » et dont la principale vocation est de s’opposer aux desseins de la rébellion, mais à partir d’une conception différente de la défense de la patrie. Par ailleurs, la question identitaire reste une constante dans les analyses des causes du conflit ivoirien. Rappelons que déjà en décembre 2000, un numéro du quotidien Le patriote proche du RDR2 d’Alassane Ouattara publiait à la Une une carte du pays coupé en deux. Sur cette carte dont l’expression politique était évidente, les treize départements du nord ivoirien sont détachés du Sud. La déchirure s’opère à la hauteur de la ville de Bouaké, au centre de la Côte d’Ivoire. Une telle cartographie politique restituait ce qui fut, jusqu’à l’Accord politique de Ouagadougou, la ligne de front. À partir d’une telle cartographie géopolitique et sans que les protagonistes ne l’aient jamais envisagé, le risque de sécession du Nord a été maintes fois évoqué par les analystes politiques et avec le spectre de la création de la « patrie des grands boubous »3 (Tuquoi 2002). Tendant à conforter l’idée de partition possible, la coïncidence entre la géographie des positions des camps politiques opposés et la géographie des groupes de proximité culturelle laissent libre cours à une sociologie spontanée de la guerre autour des identités spatialisées (Akindès 2004). Par ailleurs, les principales revendications du...

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