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Chapitre 5 Musique populaire moderne et coproduction de l’imaginaire national en Côte d’Ivoire Auguste Aghi Bahi Introduction En son sens large, « musique populaire »1 fait référence à une multitude de genres et styles musicaux contemporains, sinon largement populaires, du moins destinés à la consommation de masse et diffusés par les mass media électroniques. La musique populaire est rendue phénoménale par la technologie permettant l’expression de l’imagination créative (instruments, synthétiseurs, échantillons, ordinateurs, etc.), la fabrication du produit (studio d’enregistrement numérique assisté par ordinateur), la reproduction massive du produit (maison de disques), sa distribution à grande échelle et sa mass-médiatisation favorisant la participation d’un public large et varié (Wondji 1986:13)… Produit du business, une de ses caractéristiques fondamentales, sa diffusion vise le profit économique. Les acteurs (dirigeants et employés) des entreprises produisant la musique populaire réélaborent et refaçonnent le « populaire » en sélectionnant et en cultivant les genres et styles susceptibles d’avoir le plus grand succès auprès du public et qui maximiseront donc les profits de leurs firmes. Au plan esthétique, tenter d’établir une liste exhaustive est une entreprise vaine : variétés, reggae, rock, world music, fanfare, chorale, gnakpa, zoblazo, ziguéhi, zogoda, zouglou, mapouka, madinga, coupé décalé, etc., musiques dites « typiques », de danse, et même des musiques« traditionnelles » (Wondji et al. 1986 ; Blé 1999, 2006 ; Adom 2000 ; Konaté 2002 ; Bulu 2004). En outre, les définitions des territoires musicaux (Lafannour 2003) tels que musique « moderne », « urbaine » (urban music),« underground », etc. brouillent la perception de la musique, milieu Côte d’Ivoire : la réinvention de soi dans la violence 134 effervescent et marché en expansion en Côte d’Ivoire depuis le début des années 1990… Afin d’éviter l’écueil des genres musicaux, la musique populaire est considérée, dans cette étude, comme une entité englobant de nombreuses formes d’expression musicale, produite par et pour un groupe social particulier, au moyen de technologies modernes et fabriquée pour des marchés de masse et/ou diffusée par les mass media. Cette précision conceptuelle n’exclut donc pas d’emblée du champ de réflexion et d’investigation les musiques dites « traditionnelles2». En outre, nombre de chansons dites « religieuses3» peuvent y figurer, car la musique populaire est un lieu par excellence d’adaptation de styles, d’emprunts et de mélanges de genres, de métissages culturels, de syncrétisme.« Populaire » renvoie, pour une période donnée, aux formes et aux activités « qui ont leurs racines dans les conditions sociales et matérielles des classes particulières et qui se sont incarnées dans les traditions et les pratiques populaires » (Hall 2007:75). La musique populaire se définit nécessairement dans le cadre des « relations qui définissent la ‘culture populaire’ dans une tension (de corrélation, d’influence et d’antagonisme) avec la culture dominante » (Hall 2007:75). Dans la chanson ou musique populaire se mêlent et se confondent le politique et le non-politique, le populaire et le non-populaire :« Ce mélange, ces entrelacements soulignent la complexité des rapports qu’entretiennent dans les réalités culture et politique, rappellent que la catégorie de populaire n’est en général ni précise ni discriminante et que, lorsqu’elle qualifie la culture, elle suggère un ensemble flou dont les capacités analytiques et heuristiques sont, à tout le moins, peu évidentes » (Martin 2000:1969-1970). Certes, tandis que culture de masse renvoie aux industries culturelles et invite à la consommation, la notion même de culture populaire, porteuse d’une connotation essentialiste, renvoie à une réalité homogène entière et résistante ou à une version abâtardie de la culture d’élite (Martin-Barbero 2002:194). La musique populaire moderne, théoriquement accessible à tous et compréhensible par tous (Wondji 1986:17), est destinée à la place publique, à ce large et complexe public souvent confondu à l’espace public, dans une articulation (voire une confusion) entre marché et opinion publique. Elle joue donc nécessairement un rôle politique, en ce qu’elle est prise de parole politique par des représentants d’entités sociales dominées et ne peut être considérée comme un « objet politique nonidentifi é » (Martin 2002), mais plutôt un objet politique avéré pour des acteurs dominés comme dominants… Pour...

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