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13 La raison entre ontologie et ontomythologie Bonaventure Mve-Ondo Je partirai d’une phrase de Jean Poirier commentant l’ouvrage posthume de LévyBruhl , Carnets: «Il n’y a qu’une seule et unique mécanique mentale, à l’œuvre chez tous les hommes et dans toutes les cultures, mais il s’agit d’un appareil qui fonctionne successivement ou simultanément (selon qu’il s’agit d’un homme ou d’un groupe), selon deux modes, celui de la ’mystique’ et celui de la réflexion logique». Cette phrase répond à la question centrale de ce colloque: qu’est-ce que la rationalité? On admet généralement que la rationalité est le produit d’un raisonnement (qu’il s’agisse de la rationalité d’une connaissance ou de celle d’un comportement). Mais l’explicitation de cette définition impose d’en analyser les procédures. Nous le savons: raisonner, c’est enchaîner des propositions en se conformant à des règles, mais c’est aussi situer une pensée dans un contexte de circonstances, de causesetdeconséquences. Il y a donc à la fois un aspect constructif et un aspect critique du raisonnement. Pour expliciter le rôle du raisonnement dans l’atteinte d’une rationalité, je voudrais examiner rapidement et successivement l’application de cette propriété dans deux épistémé différentes et que nous appellerons ici ontologie (société occidentale) et ontomythologie (sociétés traditionnelles).1 Qu’est-ce que le raisonnement ontologique? Ce que l’on appelle la connaissance rationnelle est d’abord la mise en forme de nos expériences et la transformation des impressions en concepts. Et le modèle de ce type de mise en forme et de régulation de ce type de connaissance est la logique, la pensée logique au sens strict, c’est-à-dire celle qui réduit tout objet de pensée à un contenu minimum (vrai ou faux). Le raisonnement logique, c’est le modèle du raisonnement ontologique. Il se caractérise par la recherche des règles formelles et par la législation des inférences logiques telle qu’elle a été formulée, que ce soit par la syllogistique aristotélicienne (comme manipulation de propositions comportant une structure interne, avec un 144 La rationalité, une ou plurielle? sujet et un prédicat, et combinant deux propositions primitives pour obtenir une conclusion vraie), que ce soit par la logique stoïcienne, qui repose sur une relation fondamentale d’implication entre propositions cette fois non analysées, que ce soit encore, avec Frege, par le calcul propositionnel qui introduit comme termes d’un langage logique des symboles de propositions vides de contenu autres que la vérité et la fausseté et des symboles d’opérations de base (par exemple, la négation et l’implication) et qui régit, par des propositions primitives ou axiomes et des règles d’inférence, l’usage de ces symboles purement formels. On le voit, la condition de la rationalité logique est la conformité de ses démarches à une logique, à un mode opératoire où le contenu empirique des propositions ne joue aucun rôle essentiel. Et c’est cette même démarche qui est au cœur de l’ontologie occidentale. Son mode opératoire majeur repose sur la construction d’objets « nouveaux » (Idée) dont il s’agit d’expliciter les propriétés et leur signification profonde. Il repose sur la proposition. Il est essentiellement théorique et critique. C’est ainsi que chez Kant par exemple, est rationnel un ensemble de propositions dont le sens ne dépend pas des circonstances, mais simplement de la démarche spéculative et de la raison théorique. Le raisonnement ontologique est donc d’abord non-empirique et spéculatif. Il possède une analytique, une dialectique et ses antinomies, et, selon lui, commande à la fois la connaissance (dans son usage théorique) et l’action (dans son usage pratique). La rationalité ontologique se définit donc essentiellement par son souci d’être une activité théorique et peut-être par la mise en vedette d’une condition nonempirique . Il s’agit d’une «raison raisonnante», c’est-à-dire d’une raison qui se veut libre, dégagée de toute influence externe, débarrassée en principe de tout présupposé culturel et de toute affectivité, et donc d’une raison à prétention universaliste.2 Et ses «catégories logiques» sont connues, m...

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