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5 Un Philosophe italien méconnu: Le Rationalisme critique de Giulio Preti Luca Maria Scarantino Tout au long du vingtième siècle, la philosophie italienne a su contribuer, en mesure considérable, à redéfinir la conception contemporaine de la «raison». Sans vouloir examiner l’ensemble de cet apport, ce qui nous obligerait à un travail historique qui dépasse les limites de ce travail, nous allons nous focaliser sur le mouvement théorique au centre de ce procès, le «rationalisme critique» qui s’est développé à partir du deuxième quart du siècle, et en particulier sur son représentant principal, le philosophe Giulio Preti (1911–1972). Preti appartient à cette génération de jeunes intellectuels, poètes et artistes qui, dans l’Italie des années 1930, revendiquent une profonde régénération de la philosophie, de la littérature et des arts contemporains. Connu sous le nom de«rationalisme critique», ce mouvement se regroupa à Milan autour du philosophe Antonio Banfi. Des philosophes comme Luciano Anceschi, Enzo Paci et Giulio Preti, des poètes et écrivains, comme Vittorio Sereni, Antonia Pozzi et Elio Vittorini, mais aussi des peintres tels qu’Aligi Sassu et Ernesto Treccani figurent parmi ces jeunes qui, sous le signe d’un antifascisme d’abord culturel puis ouvertement militant (plusieurs d’entre eux seront incarcérés par le régime), éveillent une ferveur intellectuelle qui marque d’un profond renouveau la culture italienne. Des revues comme Corrente di vita giovanile séduisent des maîtres comme Eugenio Montale, Salvatore Quasimodo ou Carlo Emilio Gadda et s’allient avec d’autres avant-gardes intellectuelles: à commencer par les poètes hermétistes florentins (Luzi, Macrì, Bigongiari, Parronchi, Bo) et les peintres de l’école de Rome (Scipione, Guttuso, Mafai, Afro…) Les jeunes cinéastes Alberto Lattuada et Luigi Comencini y font également leurs débuts, ouvrant la voie à une conception engagée du cinéma qui culminera à la vague néo-réaliste. 53 Scarantino: Le rationalisme critique de Giulio Preti De ce mouvement intellectuel éclôt entre 1940 et 1944, puis à nouveau entre 1946 et 1949 la revue philosophique Studi filosofici. Giulio Preti, Enzo Paci, Remo Cantoni, Giovanni Maria Bertin et Maria Adalgisa Denti (des «gens de combat, prêts à assumer leurs responsabilités historiques») animent cette publication qui, sous la direction de Banfi, s’engage dans le sens d’une double reconstruction philosophique: d’une part elle vise une orientation «scientifique, donc rationnelle» de la pensée, d’autre part elle veut ouvrir la raison à «l’inépuisable richesse de l’expérience et de la vie» (ce qui donnera lieu, par exemple chez Paci, à une profonde vocation existentialiste). Ludovico Geymonat, Nicola Abbagnano, Luigi Pareyson et Guido Calogero, mais aussi Nicolai Hartmann et György Lukács, écrivent dans la revue. L’enseignement de Banfi marque profondément ces jeunes, et Preti en particulier. Maître reconnu et pédagogue d’exception, il enseigne à ses disciples à déceler dans les transformations des mœurs, de la culture et de la société les signes d’une crise historique radicale, qui appelle à ériger de nouveaux repères. Mais ce sentiment tragique du contemporain, en un sens même nietzschéen, loin de céder la place à un vitalisme ou à un irrationalisme résigné ou exalté, se fait, chez Banfi, quête d’une reconstruction rationnelle s’inscrivant dans la tradition philosophique kantienne et husserlienne (mais aussi marquée par la pensée de G. Simmel). L’indissolubilité entre le plan de l’expérience vécue et le «plan rationnel de résolution de l’expérience» (qui rend la pensée «la traduction conceptuelle des contenus de l’expérience»), le refus d’hypostasier les concepts épistémologiques (qui inspire sa critique de «l’actualisme» de Giovanni Gentile) et l’«identité substantielle de structure » qui existe entre philosophie et science, toutes deux soumises aux règles du«discours rigoureux», l’une – la science – visant des portions de la réalité, l’autre – la philosophie – ayant pour objet l’ensemble des formes de la culture: tels sont les éléments centraux de la formation philosophique de Preti, déjà visibles dans Idealismo e positivismo, son ouvrage de 1943 qui en esquisse une première synthèse. Mais dans les années 1940 Preti se mesure aussi à d’autres courants de pensée. Ses écrits témoignent d’une attraction croissante pour l’empirisme logique, qu’avait introduit en Italie l’action convergente de...

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