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3 Pour une rationalité ouverte Universalisation de Particuliers culturels Meinrad Hebga Liminaire: Nous parlons volontiers de la Raison, et de la déraison; de la rationalité et de l’irrationalité. Nous en discourons avec aplomb et assurance, donnant l’impression de nous référer à une norme clairement définie. Or il y a lieu de se demander si une telle norme existe, et si oui comment l’identifier. Admettons les définitions opératoires usuelles: est rationnel ce qui est conforme à la raison, et irrationnel ce qui s’en écarte. Rationalité: caractère de ce qui est rationnel;irrationalité: caractère de ce qui est irrationnel. Manifestement, nous nous mouvons dans les cercles vicieux consacrés par les dictionnaires. Nous sommes loin ici de la définition telle du moins que l’entend Aristote: une proposition donnant de l’être dont on veut indiquer la nature, le genre prochain et la différence spécifique. Jonglant ainsi avec les mots, nous n’atteignons toujours pas le concept précis de cette raison que nous posons comme la référence ultime du discours. Qu’est-ce donc que la Raison universelle? Emmanuel Kant, dans la Préface de la première édition de la Critique de la Raison pure, fait un aveu troublant: «La raison humaine», écrit-il, «a cette destinée singulière, dans une partie de ses connaissances, d’être accablée de certaines questions qu’elle ne saurait éviter. Ces questions, en effet, sont imposées à la raison par sa nature même, mais elle ne peut leur donner une réponse, par ce qu’elles dépassent tout à fait sa portée». C’est dire que la raison soulève parfois des problèmes qu’elle n’arrive pas à résoudre. Kant ajoute «qu’elle se voit contrainte de se réfugier dans des principes qui dépassent tout usage expérimental possible…Elle se précipite par là dans une obscurité et des contradictions qui l’autorisent à conclure qu’il doit y avoir au fond quelques erreurs cachées…» Mais le philosophe de Koenigsberg, portant la raison mathématique et physique au zénith, ne trouve à redire que dans son usage 32 La rationalité, une ou plurielle? métaphysique. Or il faut aller plus loin que Kant, et affirmer que nous trouvons la raison en flagrant délit de conflits et de contradictions avec elle-même dans toutes les disciplines intellectuelles: philosophie, religion, éthique, sciences humaines, littérature, art, et jusque dans les sciences dites exactes, à savoir les mathématiques et les physiques . En mathématique par exemple, les géométries d’Euclide, de Riemann et de Lobatchevski, toutes solidement établies, contiennent chacune des propositions qui contredisent celles des deux autres: «Par un point pris hors d’une droite, on ne peut mener qu’une parallèle à cette droite» (Euclide). «On ne peut mener aucune parallèle à cette droite» (Riemann); «on peut mener un grand nombre de parallèles à cette droite» (Lobatchevski).1 En astrophysique, le problème de la causalité oppose l’École de Niels Bohr à celle d’Einstein. Celle-ci, dite École réaliste, admet des paramètres physiques cachés que nous ne sommes pas encore en mesure d’identifier. Par contre l’École expérimentaliste affirme que le recours à des paramètres cachés complique les calculs sans être fécond sur le plan prédictif. Au sein de chaque discipline, des esprits pénétrants et lucides se combattent, se réfutent mutuellement au nom de la raison, de la raison unique et universelle. Qu’est-ce dire? La raison se dresserait-elle contre elle-même? Notre référence prétendument unique et universelle ne serait-elle pas en réalité une pluralité conflictuelle? Il faut bien se référer à une norme de la pensée, mais cette norme, quelle est-elle? Une réalité singulière, précise, clairement repérable par tous? En avons-nous, comme dirait Descartes, une idée claire et distincte, ou sommes-nous piégés par un motf étiche, une sorte d’idole langagière enfermée dans une châsse précieuse et proposée à l’adoration de tous? Un problème de sémantique Ce que la langue philosophique française désigne par l’expression reçue la Raison se trouve avoir aussi d’autres appellations chez les fondateurs grecs de la philosophie européenne, chez le Français Descartes, et chez les penseurs...

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