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7 L’armée dans la construction de la nation ivoirienne Azoumana Ouattara La Côte d’Ivoire vit une crise de son histoire qu’on peut lire, au mieux, comme la construction, dans la douleur, d’une nouvelle Nation ou, au pire, comme un processus dangereux de rétroversion et de délitement. Cette crise est triple: 1) Une crise de l’État et des structures coercitives désormais parties prenantes de la compétition politique; 2) Une crise de la formation de la Nation qui voit naître des luttes pour une renégociation de la citoyenneté; 3) Une crise de la transition démocratique qui n’est pas sans rapport avec l’essoufflement de son dynamisme économique. Le coup d’État de décembre 1999 qui porta la « classe militaire » au pouvoir en Côte d’Ivoire constitue, en lui-même, un motif suffisant pour mobiliser des instruments conceptuels afin de comprendre la rupture historico-politique ainsi produite, et qui a prépar é la guerre civile en cours dans le pays depuis le 19 septembre 2002. Il y a nécessité à saisir l’armée ivoirienne, en tant qu’acteur majeur des crises qui n’ont cessé de secouer la Côte d’Ivoire, dans la logique de sa politisation progressive. La transformation de l’armée en un acteur politique actif est inséparable des usages de la force et de la violence comme instruments d’expression de revendications identitaires, d’accès aux ressources, et finalement d’accès au pouvoir. L’armée ivoirienne ne mérite pas l’excès d’indignation qu’elle suscite aujourd’hui. Elle a connu une épuration sous la transition militaire. Elle fut traumatisée par les tentatives de coup d’État à répétions, victime d’une crise qu’elle contribua, à sa manière, à créer. Le coup d’État du 24 décembre 1999 ne fut pas une thérapie à la situation de crise politique qui bloquait le pays depuis 1993 mais le symptôme de son aggravation. Sous le couvert d’une redistribution des cartes politiques, il a exacerbé les tensions politiques et ethno-nationalistes qui parcouraient, en profondeur, la société ivoirienne . On ne peut comprendre l’histoire des FANCI (Forces Armées Nationales de Côte d’Ivoire) sans l’inscrire dans le difficile processus de construction de la nation 150 Frontières de la citoyenneté et violence politique en Côte d'Ivoire dont la crise militaro-politique est un des moments dramatiques. En effet, l’ouverture démocratique, amorcée au début des années 1990, en autorisant la contestation de l’ordre du monopartisme et l’expression des revendications identitaires, dans un contexte de déclassement économique, a eu de sérieuses répercussions dans l’arm ée. Il ne faut donc pas disjoindre la question des usages légitimes ou illégitimes de la violence de celle de la crise de formation démocratique de la nation dont les prémisses apparaissent dès 1990. Notre recherche se propose sur cette base: 1) de constater l’originalité historique des FANCI en l’inscrivant dans les ruses houphouëtistes d’une méthodologie politique de la paix dont la gestion renti ère des accords de défense conclus avec la puissance colonisatrice, objet aujourd’hui de vives polémiques, n’est qu’un aspect. 2) de comprendre la fragilisation progressive de cette armée à laquelle ne fut jamais fixée aucun objectif stratégique, même pas celle de la défense du territoire; situation paradoxale que trahissent des expressions souvent entendues jamais expliquées: « l’armée ivoirienne est une armée de paix », « l’arm ée ivoirienne est une armée de développement et non de guerre ». La thèse qui sera défendue ici est la suivante: l’armée ivoirienne est d’autant plus travaillée par les fractures du corps social, qu’elle a du mal à assumer ses fonctions républicaines. Elle finit, du coup, par être instrumentalisée par ceux qui exercent la violence légitime au nom de l’État et par ceux qui contestent cette légitimité. Cette thèse de l’instrumentalisation ne vaut que dans la mesure où elle s’accompagne d’une réflexion sur la privatisation de la force publique au profit d’un parti, d’un groupe ethnique ou tout simplement d’une faction. L’objectif poursuivi par ce travail est modeste: poser les...

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