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5 La crise de la ruralité en Côte d’Ivoire forestière Ethnicisation des tensions foncières, conflits entre générations et politique de libéralisation Jean-Pierre Chauveau avec la collaboration de Koffi Samuel Bobo Cette contribution1 vise à rendre compte de la dimension foncière de la crise ivoirienne , dimension qui n’est ni strictement rurale, ni réductible à l’attachement trop souvent présumé atavique des sociétés paysannes africaines à leur identité ethnique. Elle prend racines en effet dans la conjonction éminemment contemporaine d’une crise structurelle de la ruralité aggravée par la mise en œuvre aux forceps des politiques de libéralisation. Nous ne traiterons (et à grands traits) que de la situation de la zone forestière, où les migrations de main d’œuvre et d’exploitants agricoles sont anciennes et massives, et dont les fermes familiales (approximativement 500 à 600 000) produisent un volume considérable de produits d’exportation. L’un des paradoxes du conflit actuel est en effet qu’il intervient alors que cette zone permet au pays d’être le premier producteur mondial de cacao (1 300 000 t, soit 40% du marché mondial) et de figurer dans les premiers rangs mondiaux pour la production de café. La Côte d’Ivoire figure également dans les premiers rangs parmi les premiers producteurs africains de palmier à huile et d’hévéa, produits dans les zones agro-écologiques forestières du pays. La crise de la ruralité a pour toile de fond l’épuisement de trois éléments de régulation majeurs et interdépendants, qui ont contribué à la « success story » de l’agriculture de plantation familiale jusqu’aux années 1970–1980: le modèle « pionnier » de mise en valeur agricole, le mode de gestion politique des ressources (que nous désignerons par le terme de « gouvernementalité » pour le distinguer de la 106 Frontières de la citoyenneté et violence politique en Côte d'Ivoire notion normative de « gouvernance ») et le modèle urbain d’ascension sociale des jeunes ruraux et de régulation des tensions entre les générations. Bien qu’indissociablement liés, nous examinerons successivement les deux premières composantes de la crise structurelle (crise du modèle pionnier et crise du mode de gouvernementalité), en soulignant leurs effets sur la troisième composante (les tensions entre générations) et leur exacerbation par la mise en œuvre sans précaution des politiques de libéralisation. Nous terminerons par la présentation de quelques éléments significatifs de la situation actuelle de conflit observés dans une micror égion du Centre Ouest. La crise du modèle « pionnier » de mise en valeur agricole et l’ethnicisation des rapports fonciers De nombreuses études ont énuméré les facteurs du boom caféier et cacaoyer ivoirien des années 60 aux années 80, basé essentiellement sur les petites et moyennes exploitations de type familial. A. D’abord une bonne dotation en facteurs « classiques »: forte disponibilité fonci ère dans la zone forestière; accès à la main-d’œuvre facilité par les migrations de travail des populations des pays voisins (surtout Haute-Volta – aujourd’hui Burkina Faso – et Mali); relative faiblesse des besoins en capital pour les exploitants familiaux (facilités de capitalisation de la rente forestière, association des plantations et de cultures vivrières pour la consommation ou pour la vente durant les premières années); faible technicité des pratiques agricoles. B. Ensuite, un appui par l’administration agraire de l’État, sous forme d’encadrement par de multiples sociétés d’État qui fournissaient des intrants subventionn és, du crédit de soudure et d’équipement, de la vulgarisation technique, du matériel végétal sélectionné, voire, à certains moments, des primes de plantation et de reconversion. C. Enfin, les incitations positives de la politique agricole générale: priorité donnée à l’agriculture, caisse de stabilisation qui permettait la stabilité des prix aux producteurs à un niveau relativement rémunérateur, encouragement par les autorités politiques des migrations de colonisation des zones forestières et des migrations de travail. Tout cela supposait un coût élevé pour les finances publiques. Ce fardeau reposait notamment: • sur la taxation indirecte de la production paysanne par la caisse de stabilisation , qui a bénéficié jusqu’aux années 80 d’un différentiel de prix par rapport au marché international (encore concurrentiel); • sur l’aide internationale (la Côte d’Ivoire a...

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