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Liminaire« Pour l’intérêt de la raison il faut dater » En épitaphe à ces propos sur la crise de l’enseignement supérieur au Mali, j’invoque d’entrée de jeu le patronage d’un philosophe. En effet, contextualiser un fait social, c’est déjà circonscrire ses contours et la portée des jugements. Parler de l’enseignement supérieur d’un pays, c’est en même temps désigner l’élite qui en était porteuse à travers la maîtrise et la diffusion d’une culture fondée sur une pratique scripturale : la culture écrite au Mali et au delà, c’est-à-dire le Bilad es Soudan, remonte loin dans le temps. Le commerce et l’islam en furent les principaux vecteurs de diffusion. Les centres universitaires de l’époque médiévale, certains des temps modernes (XVIIe et XVIIIe siècles), étaient alors des lieux d’enseignement et de production d’un savoir écrit de haut vol. A cet effet, il n’est que de rappeler les impressionnantes collections de manuscrits en Arabe répertoriées de la Sénégambie au Nord nigérian sur une période d’au moins dix siècles. Ulémas, cheikhs, poètes et savants de ces époques lointaines ont légué dans le Bilad es Soudan leurs œuvres, non encore exploitées pour une large part d’ailleurs. Au Mali, un travail remarquable de collections et même d’éditions de certains manuscrits a déjà été accompli par le centre Ahmed Baba de Tombouctou. Mais ce n’est qu’un début car la collecte est loin d’être terminée dans le delta et le Septentrion malien. Le centre et l’ouest sahélien du pays n’ont pas encore été exploités. Cette vaste production de savoirs et de consignation de savoir-faire était le fait d’intellectuels très largement en phase avec leur propre contemporainéïté. Ils étaient le sel de leurs terres natales, les éclaireurs de conscience, y compris et surtout celles de leurs princes et empereurs qui avaientpluspeurdeleurcritiquequedesflèchesdécochées par leurs ennemis sur les champs de bataille. En témoignent les propos suivants rapportés par le Tarik El Fettach d’un Askia de Gao au retour d’une expédition militaire où il fut battu : la défaite m’est encore plus supportable que les railleries dont je serai l’objet de la part des Oulémas de Tombouctou lors de leurs discussions matinales sur les nouvelles du jour. Après la défaite de Tondibi en 1591 face aux fusiliers de Djouder, l’élite intellectuelle de l’Empire et particulièrement celle de Tombouctou paya un lourd tribut durant la conquête marocaine : massacres, déportations, exode. Avec l’Askia Nouhoun, elle anima la résistance contre l’occupant dans le Dendi qui préserva son indépendance,maisfutcoupédutrianglecomposédeGaoTombouctou ,-Djénné ou s’exerça le Pachalick jusqu’à son dépérissement qui intervint vers 1737. A quatre siècles d’intervalle, les intellectuels de ce pays expérimentèrent sur le terrain ces mots célèbres de Paul Valery : Un intellectuel n’est pas celui à qui les livres sont nécessaires, mais celui dont chaque parole l’engage. Les exemples de l’Empire Songhoï nous ont conduits à un double constat : le premier est l’existence et la maîtrise d’une culture écrite, le second l’important rôle de penseurs et d’acteurs sociaux que jouaient les intellectuels. L’Empire Songhoï s’est éteint, mais pas la flamme de l’esprit qui éclaire les chemins de la vie. Durant les XVIIe et XVIIIe siècles s’effectua lentement, mais avec une réelle volonté, une renaissance de l’élite intellectuelle qui avait été décapitée sous le Pachalick marocain. Les Kountas y apportèrent une contribution de qualité à côté de celle des Djulas Wangara, plus ancienne et plus diffuse. Avec la création de sa zaouya et une prodigieuse production intellectuelle, Le Cheick El Bekaye Kounta de Arouane fit revivre les ardeurs des doctes musulmans à travers la diffusion de la Belkaya Quadriya dans tous les pays sahéliens limitrophes du Mali. Cet engagement des intellectuels de nos anciennes contrées va culminer au 19e siècle avec la création d’Etats théocratiques d’abord au Nigeria, ensuite au Macina, puis la jihad omarienne et enfin la résistance de Mohamed Lamine Dramé à la conquête coloniale fran...

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