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2 Identités ethniques et territorialisation en Casamance Abderrahmane N’Gaïdé Le monde se globalise et simultanément se recompose. Les cartes et les atlas se brouillent. La figuration des frontières inter-étatiques et des identités nationales est apparue dans les années 1990 comme un exercice particulièrement délicat, vite périmé, toujours à recommencer. En 1995, Bertrand Badie observait que« chaque minorité tente de traduire dans une revendication territoriale intransigeante la volonté de s’affirmer et de se distinguer » (Badie 1995:7). Bientôt dix ans plus tard, le travail des cartographes n’est pas devenu moins compliqué. Des territoires éclatent ou se diluent. Sur eux s’exercent des autorités concurrentes , chacune prétendant à l’exclusivité du « pouvoir », et alimentant ensemble une forte impression de désordre. De ce désordre, naîtront sans doute de nouveaux ordres, de nouvelles stabilités territoriales, dont la durée dépendra de l’équilibre des forces en présence et de leurs projets de société. D’ici là, bien des formes spatiales émergentes, aux contours encore imprécis, invitent à penser le mouvement, le provisoire, l’instable (Mbembe 1999). Tout ceci participe du brouillage de la carte du monde en réécriture permanente. Le « réveil des nationalités » pour ne pas dire des ethnies en Europe de l’Est, la crise du Kosovo , la partition de l’ancien Timor indonésien et la prise d’indépendance du Timor oriental suffisent à montrer que l’Afrique n’a pas l’apanage des dissidences territoriales. À supposer qu’il y ait une spécificité africaine en la matière, elle résiderait plutôt dans la jeunesse des États du continent. Après quatre décennies d’indé- 40 Études africaines de géographie par le bas pendance postcoloniale en moyenne, la diffusion de la « conscience nationale », tant magnifiée par les gouvernants, reste hésitante. Ces quatre décennies sont bien peu en regard de la croissance de certains États européens, qui mirent des siècles à contenir, sinon toujours à éliminer, les dissidences de leurs propres périphéries. Devrait-on alors considérer que les dissidences territoriales africaines participent d’une croissance « naturelle » des États postcoloniaux ? Quatre décennies suffisent en tout cas à questionner le modèle de l’État-nation, massivement choisi aux indépendances : dans quelle mesure les dissidences territoriales en cours sur le continent sont-elles des conséquences de ce modèle, découlant d’une organisation de l’espace des sociétés qui a montré ses limites ? Partout, les dissidences territoriales s’auto-légitiment par un ensemble de « singularités », de « spécificités » culturelles, historiques, économiques ou sociales, plus ou moins anciennes ou récemment (ré)inventées. En Afrique comme ailleurs, les dissidences se retranchent derrière ces « spécificités » pour rejeter l’autorité de l’État central, celui-ci étant tantôt accusé de « surexploiter » ses périphéries dissidentes (quand elles sont riches), tantôt de les « abandonner » (quand elles sont pauvres) et toujours de nier, de dévaloriser, de rejeter des identités singulières. En retraçant leur histoire, on réalise que certaines dissidences territoriales, apparemment « neuves » dans leurs expressions contemporaines, sont en fait récurrentes dans la longue durée. C’est le cas de la Casamance. Pour en rendre compte, nous distinguons dans ce chapitre quatre grandes séquences, correspondant à quatre formes d’État qui se sont succédé sur tout ou partie d’un espace aux contours fluctuants.1 Les États considérés sont par ordre chronologique le royaume du Gaabu (lui-même une dissidence de l’empire du Mali), le Fuladu (une dissidence du Gaabu), la « Colonie du Sénégal et ses dépendances » et, à partir de 1960, la République du Sénégal. Chacun recouvre des « territorialités » particulières, des modes différents d’organisation de l’espace, des stratégies territoriales et des représentations du territoire qui lui sont propres. Les logiques et les pratiques dissidentes ont varié en conséquence, selon les contextes et les circonstances. Nous proposons ici de vérifier, par-delà ces variations, que la dissidence territoriale est un phénomène récurrent, depuis environ huit siècles, dans l’histoire de la Casamance. Le Gaabu : de la dissidence à la prédation Il s’agit dans cette première partie d’évoquer brièvement la formation du royaume gaabunke, son organisation territoriale et son...

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