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27 Patrimoine monumental et décentralisation culturelle (1959-1999) DROIT DE CITÉ POUR LE PATRIMOINE 228 F ace à la question de la décentralisation, l’historien ne peut qu’inciter à la prudence: lui dont l’expérience peut balayer deux siècles au moins d’évolutions administratives, sait que les mesures de décentralisation dont les différents gouvernements ont été les auteurs ne peuvent pas être isolées du contexte général, et que ce dernier se caractérise par un double mouvement concomitant d’étatisation accrue – ne serait­ce que par voie budgétaire – et de déconcentration, lequel densifie le maillage administratif du territoire. Il lui appartient, enfin, de ne pas négliger l’importance d’un autre facteur: le dynamisme démographique, économique et culturel de Paris et de la région parisienne, dont la province fait pour partie les frais. Étudier le phénomène considéré, la décentralisation, suppose, en d’autres termes, de prendre en compte de façon dialectique les tendances qui s’y opposent. Ainsi sera­t­on conduit, face à la question de savoir si décentralisation patrimoniale1 il y a eu dans la seconde moitié du xxe siècle, à devoir esquisser une sorte de bilan des mouvements centrifuges et centripètes, pour se demander, en définitive, lesquels ont été les plus forts. Pourtant, à peine la question est­elle posée en ces termes qu’on en saisit la vanité: dès son origine, c’est­à­dire depuis la monarchie de Juillet, la politique patrimoniale a été pensée sous l’angle de la centralisa­ tion, non seulement dans ses modalités administratives, mais surtout dans ses critères d’appréciation. Dès cette époque, le patrimoine a été conçu comme une représentation de l’histoire de la nation: l’État, au moment où 1. Pour des raisons de commodité, on se limitera ici à la question du patrimoine monumental. Paris: ouverture au public du palais présidentiel dans le cadre des journées du patrimoine, en 2005.  Patrick Kovarik / AFP [3.15.225.173] Project MUSE (2024-04-20 04:06 GMT) pAtrIMoIne MonuMentAl et décentrAlIsAtIon culturelle (1959-1999) 229 se constituait l’État­nation, s’est donc arrogé les capacités de le définir – c’est à dire de le protéger juridiquement – de le modifier et de le restaurer. Pour ce faire, il a réservé entre ses mains les crédits, les experts et les architectes restaurateurs. Les critères qu’il a définis, tant pour la protection que pour les transformations, ont prévalu et prévalent encore sur l’en­ semble du territoire, instaurant par péréquations et uniformisations une sorte d’«hexagonalisation» des biens patrimoniaux, pourtant générale­ ment formés bien avant la naissance de l’État­nation2. Sauf à modifier de fond en comble le dispositif, le patrimoine ne peut pas être décentralisé et chacun sait, sans avoir à tenir la balance qu’on a évoquée à l’instant, qu’il ne l’a pas été. Mieux, que des dispositions législatives nouvelles n’ont fait que confirmer son caractère étatique: les lois de séparation de l’Église et de l’État, par exemple, ont renforcé le droit de regard des Monuments historiques sur les églises propriétés communales. Pour prévenir le caractère négatif de ce constat, on suggère d’uti­ liser deux autres concepts: partenariat et démocratisation. Le premier fait référence notamment à une sorte de «recette» politico­administrative, dont l’emploi s’est développé à partir des années 1980 : je l’appellerai«déconcentralisation»; elle consiste à faire une part accrue aux élus locaux dans les instances de conseil déconcentrées. Sous les auspices d’une telle définition, une question se pose donc: le patrimoine a­t­il vu se dévelop­ per des modalités de gestion en partenariat pendant la période considé­ rée? Quant au second concept, démocratisation, son emploi n’est pas sans faire courir des risques d’amphibologie: s’il veut signifier que le peuple prend une place accrue, par le truchement de ses élus, dans la gestion des affaires patrimoniales, on est conduit à l’écarter pour cause de redon­ dance avec le concept précédent, celui de partenariat; s’il s’entend, d’autre part, en tant que politique d’amélioration des conditions générales d’accès à la culture...

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