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21 Patrimoine et patrimonialisation L’avenir du musée des arts et traditions populaires DROIT DE CITÉ POUR LE PATRIMOINE 178 I l me semble que dans le genre de symphonie que nous sommes en train de donner, le plus difficile pour les instrumentistes consiste à s’accorder avec le voisin. Denis Chevallier m’a fourni l’occasion de le faire par le commentaire qu’il a proposé du fait divers évoqué au commencement de son allocution. Pour ma part, je ne trouve en rien étonnant que, dans le cadre d’une dégustation à l’aveugle, on ne sache pas distinguer le traditionnel de l’artificiel: pour apprécier, une éducation s’impose. Or l’appréciation du traditionnel n’est pas un fait inné: la tradition s’invente, elle se construit, comme l’ont fait observer quelques observateurs britanniques. Nous sommes en plein artificialisme et je pense que ce terme est l’un des maîtres mots de nos débats. Je voudrais évoquer cinq propositions, très rapidement, car n’étant pas ethnologue, je ne me sens pas vraiment habilité à parler dans cette enceinte: j’essaie simplement de prétendre de temps en temps à fabriquer la «patrimonio­ logie», nouvelle science qui va bientôt prétendre au champ des sciences sociales toutes entières. J’estime tout d’abord qu’il importe de donner une définition du mot patrimoine qui soit suffisamment englobante. Pour moi, le patrimoine exprime la filiation: contrairement à ce qu’on répète paresseusement, le patrimoine n’est pas né avec la Révolution française, il ne résulte pas d’un phénomène institutionnel; ce concept est aussi ancien que l’humanité. Dans les civilisations de Mari déjà, ou dans la Bible, il découle de la généalogie et la «patrimonialisation», cet horrible mot que l’on a inventé récemment, consiste à fabriquer la filiation; elle relève de l’artificiel. Cette construction résulte de l’intervention de toutes sortes d’opé­ rateurs, commissaires ou médiateurs, appelons les comme on voudra. Ce sont tout d’abord les amateurs, expression de la société, les professionnels, mais aussi les volontés politiques. À cet égard, je vous rappelle un petit fait qui n’est pas inutile dans nos débats: au lendemain de 1830 – on a parlé Jacques Boyer / Roger-Viollet Le dépôt légal à la  Bibliothèque nationale, 1938. [18.222.69.152] Project MUSE (2024-04-25 00:48 GMT) pAtrIMoIne et pAtrIMonIAlIsAtIon 179 tout à l’heure de Versailles et de l’assiette –, ne sachant plus quoi faire de Versailles, Guizot et Louis­Philippe ont envisagé de transformer le château en musée de la civilisation française, en musée des arts et traditions popu­ laires. Que diriez­vous si, au lieu d’être ici, nous nous trouvions à Versailles en train de discuter du musée des ATP? Cette construction patrimoniale ne repose pas seulement sur l’action des amateurs et des politiques, mais sur celle des scientifiques. Il faut ici évoquer ce qui relève de l’ascèse des scientifiques: le catalogage, l’indexation et la typologie en constituent les trois irréductibles piliers. La construction patrimoniale se réalise à partir de plusieurs types de production. Il s’agit tantôt de fonds, organiquement constitués: c’est le cas des archives. Le cas le plus simple: des administrations fabriquent du papier, un lieu d’archives le conserve. On invente la notion de fonds pour rendre compte de l’organicité de la production et le bien­fondé de la conservation. Autre type: la conservation exhaustive. C’est le Dépôt légal: on décide du jour au lendemain de conserver toutes les estampes et tous les livres, dans un but de police qui se transforme vite en action patrimo­ niale. Troisième cas de figure: il correspond au musée des Beaux­Arts et, plus généralement, au cas des arts plastiques. Il vise à conserver des unica qui, par définition, sont irréductibles l’un à l’autre. Ainsi, trois catégories d’artefacts, trois types d’action. Sous ce point de vue, comment apparaît le musée des ATP en tant qu’outil patrimonial? On se trouve, là aussi, en pleine artificialité. D’une part, en raison de la nature des objets qui le concernent: pour la plupart périssables, issus de la vie quotidienne, ils ont pour champ la société tout entière...

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