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6 Des explorateurs aux gestionnaires du patrimoine DROIT DE CITÉ POUR LE PATRIMOINE 60 L es Français ont attendu le xixe siècle pour visiter leur pays. On découvrira bien quelques exemples ici ou là se signalant par leur précocité, il n’en reste pas moins que c’est ce siècle­ là qui a découvert le plaisir de voyager à l’intérieur des frontières, tout particulièrement celles que les guerres impériales ont laissées, pour finir, à la France; le plaisir de découvrir des espaces naturels et des édifices construits par l’homme; la soif de comprendre comment vivaient les aïeux et tout particulièrement, par­delà l’Ancien Régime qui venait de s’effon­ drer, ceux de l’époque médiévale, du temps de Charlemagne, de saint Louis, des croisades et de la guerre de Cent Ans. Le voyage suppose une organisation de plus en plus rigoureuse, une sorte de mode de vie qui trouve ses règles dans les guides imprimés, avec ses propositions d’étapes, de monuments à visiter, d’horaires, d’auberges et d’hôtellerie. Mieux, il se transforme en art de vivre: les préparatifs, le cheminement avant l’arrivée, la découverte du but recherché, la perspective d’un nouveau départ, ces différentes étapes confèrent au voyage les caractéristiques d’une expé­ rience, voire d’une sorte d’initiation. Apprendre à vivre en ambulant, à susciter sa propre curiosité, à exprimer ses sensations, les transformer en conscience et en science, devient l’objet de la manière d’être de celui que Stendhal désigne d’un mot forgé par ses soins, le «touriste». Le touriste, selon l’auteur des Promenades dans Rome, n’est pas le jeune Anglais qui fait le Grand Tour de l’Europe pour parfaire son éducation, ni l’amateur de déplacements aventureux vers l’Orient, mais le marchand de ferraille, alias Stendhal lui­même, qui déambule de ville en ville selon un itinéraire fixé et s’intéresse à tout, le présent comme le passé. À l’égard du passé, les voyageurs sont comme des orphelins en quête de paternité: ils s’efforcent de retrouver les traces de leurs devanciers du Moyen Âge pour y placer leurs pas. Ils sont accompagnés dans leur désir de savoir par les sociétés savantes qui, depuis la fondation de l’Acadé­ mie celtique et surtout, celle des Antiquaires de France qui lui succède en 1815, se développent sur presque tout le territoire. D’abord en Normandie autour d’Arcisse de Caumont, en 1836 en Haute­Marne avec la création de la Société d’histoire et d’archéologie de Langres, on fouille le sol et les archives, on rassemble les vestiges et les objets, on tente de renouer le fil brisé des générations. Les artistes, plus sensibles que les autres, observent et découvrent ce que leurs contemporains ont peine à discerner: la poésie des ruines, la beauté des architectures, le pittoresque des costumes, l’origi­ nalité des physionomies… Parmi les premiers, François­Alexandre Pernot (1793­1865), élève de Jean­Victor Bertin et de Louis Hersent: amoureux d’un Moyen Âge tourmenté et flamboyant, il s’intéresse aussi bien à l’Écosse de Walter Scott (1826) qu’au Rhin pour lequel Victor Hugo s’en­ thousiasme ou au Vieux­Paris. En 1836, l’État lui passe commande d’une campagne de dessins qui le conduit en Champagne en 1843 – il parcourt cette province en compagnie de l’archéologue journaliste Auguste­Napoléon Didron, bientôt fondateur des Annales archéologiques (1844) – puis en Bourgogne (1845). En 1846, son intérêt pour l’architecture médiévale et [3.15.143.181] Project MUSE (2024-04-19 00:14 GMT) des explorAteurs Aux gestIonnAIres du pAtrIMoIne 61 ses connaissances lui valent d’être nommé correspondant du Comité his­ torique des arts et monuments; Didron en est le secrétaire et le peintre Paul Delaroche y siège comme membre. D’autres artistes parcourent à leur tour la Haute­Marne: Adrien Dauzats (1801­1868), l’un des collaborateurs les plus actifs de l’une des plus folles et extraordinaires entreprises éditoriales du xixe siècle, la publication des Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France, rassemble deux cent quarante­neuf dessins sur les monuments de Champagne entre 1837 et 1849. Isidore Taylor (1789...

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