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IX DALRYMPLE Dalrymple partit un jour seul pour aller à la chasse. Je lui avais proposé de l’accompagner, mais il m’avait répondu qu’il aimait autant être seul. Cela m’avait été dit d’un ton bourru. Mais, dans la solitude, quand quatre personnes sont ensemble, il y a des moments où l’une d’entre elles trouve que les trois autres sont gênantes. Cela amène d’ailleurs à des réflexions philosophiques assez imprévues. L’homme ne tient pas du tout à vivre en société. Il ne se groupe que par une sorte de lâcheté. Il préférerait la solitude – seule ou à deux – mais il a peur de cette solitude. En réalité, les misères de notre corps nous font nous gêner les uns les autres. Je m’en apercevais bien. Notre intimité diminuait. Et, plus particulièrement, j’évitais Jacqueline et elle m’évitait. Je savais très bien que nos corps étaient l’obstacle. Ce sont les âmes qui souffrent de la promiscuité. Mais c’est la chair qui crée cette promiscuité. [ 224 ] LA LOI DU NORD La façon bourrue dont Dal m’avait signifié son désir de prendre une journée de liberté – il arrive que le geôlier soit aussi captif que ses prisonniers – ravivait en moi ce souvenir douloureux des misères de notre corps. Je tentai de me purifier aussi bien que je le pouvais en prenant un bain de vapeur, dans notre petite «loge à transpirer » que nous avions plus ou moins perfectionnée. Ma sudation dura peut-être une demi-heure, pendant laquelle mes guenilles prirent tristement l’air sur la neige. Bien frictionné de neige, rhabillé, je me sentis un tout autre homme. Il faisait doux, ce jour-là. Le thermomètre était bien près de la glace fondante et un soleil joyeux m’incitait à la promenade . Je remontai vers le Nord et j’allai explorer le col que nous aurions pu franchir, si nous avions connu la géographie exacte des montagnes Rocheuses. Il aurait suffi d’un très faible hasard pour qu’à cette heure-ci, nous fussions en train de dévaler joyeusement les pentes myst érieuses couvertes de grands séquoias, aux reflets bleus, qui ombragent ces larges rivières chères aux saumons, au lieu de passer des jours moroses à essayer de reprendre de la chair et des muscles, pour repartir vers la Civilisation. Et la Civilisation c’était la mise en cage de ce charmant oiseau qu’était Jacqueline, et l’internement définitif de Shaw. Cet internement définitif ne faisait aucun doute pour moi tant que vivrait l’ancienne épouse. Et j’admirai la puissance de la haine, capable de poursuivre victo­ rieusement un homme à des milliers de kilomètres et s’appuyant pour satisfaire ses désirs, sur la justice elle-même. Il y a de quoi vous rendre anarchiste! [18.224.0.25] Project MUSE (2024-04-23 20:10 GMT) [ 225 ] LA LOI DU NORD Comme nous sommes pleins de contradictions, il avait suffi que je me sois éloigné pendant deux heures de mes compagnons pour recommencer de les aimer et d’avoir envie de leur présence. * Nous convînmes que c’était vraiment délicat de la part de Dal de nous avoir ménagé une journée pleine à nous tout seuls. Il nous donnait tant qu’il pouvait l’illusion de la liberté. Après tout, l’homme a-t-il jamais plus qu’une illusion de liberté ? Nous pouvions aller et venir et dire ce qu’il nous plaisait de dire, sans avoir à ménager la délicatesse de notre geôlier. Je sais bien que Dal se serait bouché les oreilles, si nous avions parlé devant lui de quelque chose qu’il ne devait pas entendre. Mais nous avions beaucoup de respect pour lui parce qu’il était lui, et, aussi, à cause de ce Service de Sa Majesté qu’il représentait. Quand je pense comment Sa Majesté représent ée par un simple caporal de police avait pu «en mettre plein les yeux» à un Yankee républicain, comme l’était Shaw, quel témoignage en faveur de la monarchie britannique? Et vous avez vu d’ailleurs quel personnage cornélien elle faisait d’un de ses plus humbles serviteurs! Il faisait si doux, ce jour-là, que nous demeurâmes longtemps assis sur un tronc d’arbre mort. Ce temps doux...

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