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VII LE COL INFRANCHISSABLE Devant nous se dressait, nous le savions, l’épreuve la plus redoutable de notre aventure. Si nous en triomphions, le salut pouvait être considéré comme assuré. Si nous échouions… mais pourquoi penser à un échec? Parvenus à la limite du dernier sapin, nous regardions, non sans terreur, une gorge sauvage. Une partie du glacier descendait dans cette gorge, et nous dominions ce fragment. C’était une cascade de séracs. Alors que sur les pentes qui l’enserraient la neige se montrait immaculée, ce glacier était terne et sale. Il portait d’affreuses zébrures grises. Un glacier, c’est une rivière. Si lente que soit sa course, cette course ne s’arrête jamais. Elle ne reconnaît aucun obstacle. Elle burine le rocher le plus dur, l’use et en charrie au loin les débris. À chaque obstacle que lui imposaient les courbes de ce vallonnement dont il était l’impatient captif, le glacier se crevassait dans la lutte. Nous ne pouvions encore voir ces crevasses béantes qui nous guettaient à chaque chute de séracs, mais nous [ 182 ] LA LOI DU NORD connaissions leur présence et nous pouvions soupçonner leur nature. Au fond de ces crevasses coulait le torrent glaciaire, que l’hiver même le plus rude ne parvient pas à tarir. Car, au fond, le névé et le glacier opposent à la compression, c’est-à-dire, en fin de compte, un accroissement de température. Le glacier franchi, nous trouverions la rimaye, le begrschrund – Robert lui donna son nom suisse – plus large, plus profonde, plus escarpée sans doute que les crevasses précédentes. Il faudrait de toute évidence nous fier à la fragilité des ponts de neige. Et c’est là une éventualité toujours angoissante. Après la rimaye, nous serions face à face avec le névé. Les mêmes dangers nous y attendaient que sur le glacier, avec cette aggravation que la pente y serait sans nul doute redoutable. Nous n’avions pas de crampons. Les mocassins indiens en peau d’orignal chamoisée à la fumée ne glissent guère sur la glace, sans doute, mais, dans ce cas, la glace s’aggrave de la pente. Et nous n’avions pas même pour nous défendre de la glissade, le bâton ferré, l’humble précurseur du piolet. Nos haches, sans doute, nous permettraient de tailler des marches. Ces marches elles-mêmes seraient forcément précaires. Songez que le poids de notre charge nous devait forcément tirer en arrière. Et Robert m’avait averti qu’un homme exercé, armé d’un piolet, met une minute environ à tailler une marche. S’il fallait tailler sur trois cents mètres seulement, c’étaient cinq heures. Enfin, à tous ces dangers s’en ajoutait un autre. Le climat de la haute montagne est plus capricieux que celui de la plaine. Les sommets sont hantés par le brouillard et par le nuage qui sont, à tout prendre, des suaires à envelopper les cadavres. [3.133.159.224] Project MUSE (2024-04-24 13:16 GMT) [ 183 ] LA LOI DU NORD Tous ces obstacles franchis, il nous resterait encore la muraille rocheuse qui dominait le dernier champ de neige et dont nous pouvions mesurer l’escarpement par le seul fait qu’aucune neige n’aurait pu s’accrocher à elle. En de moins redoutables circonstances, Ajax, fils de Télamon, s’était écrié: «J’échapperai malgré les dieux.» Shaw eut un mot plus simple . Il nous regarda et dit: – Quand même! * La route choisie par Shaw nous menait d’abord à travers une forêt de sapins, les derniers arbres, sans doute, que nous devions rencontrer sur notre route ascendante. Car nous n’étions pas loin de la région des neiges éternelles. Robert expliquait qu’en raison des pentes abruptes sur lesquelles il allait falloir commencer l’escalade, il avait préféré la région boisée à celle plus découverte et, en apparence, plus aisée, par crainte des avalanches. La pente était si déclive, en effet, que la neige y tenait mal. Des rochers polis par l’incessant ruissellement des eaux et terriblement glissants, formaient, par endroit, de véritables marches naturelles. Très souvent un sapin avait poussé dans des conditions telles qu’il était obligé de projeter à quelques pieds plus bas d’énormes racines noueuses et torses, à la recherche de sa nourriture et de sa stabilité. Un frisson perpétuel nous...

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