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VI JACQUELINE J’avais essayé de prendre sa main, mais elle l’avait dégagée d’un geste vif, presque colère, qui contrastait singulièrement avec son aveu. Puis elle était allée se réfugier sous sa tente. Ainsi, ce soir-là, nous ne parlâmes pas plus avant. Mais je ne parvins pas à fermer l’œil et je pense qu’elle ne dormit pas davantage, à en juger par la mine qu’elle montrait le lendemain matin. Et durant toute la journée, nous nous évitâmes. Les choses ont parfois leur côté comique, même quand elles sont terriblement sérieuses, et je trouvai que nous devions avoir «un air de péché virginal». Adam et Ève ne devaient pas avoir l’aspect plus penaud le jour qu’ils s’aperçurent du besoin d’une feuille de figuier. Shaw, heureusement, entretenait la bonne humeur de la troupe, quand on pouvait parler, c’est-à-dire pendant les pauses. Il avait remarquablement bien dormi, disait-il, et rêvé que nous allions trouver une passe facile. [ 160 ] LA LOI DU NORD – Un mauvais pas, ou deux, auxquels il manquera peut- être la rampe classique des Alpes, deux ou trois chutes de séracs à travers lesquelles nous trouverons notre chemin aisément… Et rappelez-vous, Louis, qu’en cette saison les ponts de neige doivent porter… Et puis la belle descente sur la Colombie. À la première forêt on fabriquera des skis, plus ou moins bons mais cela n’a aucune importance. Ou bien, on fera de la luge… Comme les vieilles dames à Davos… Jacqueline, prenez un avantgo ût de ce qui vous attend dans quarante ans: la luge… Et quelle moisson de « premières »… On mettra des«cairns» Glacier Jacqueline Bert, Col Robert Shaw, Arête Walferdin… J’ai tout ce qu’il faut pour écrire, et cela vexera joliment les types qui, dans quelques années, se figureront qu’ils vont dévirginiser «ces monts affreux» comme parle un de vos auteurs français… Du diable si je sais où j’ai lu cette phrase. Il nous faudrait un petit rappel de corde pour achever de dérouter tous les Dalrymple du monde, si Dal s’entête à nous suivre là-haut. Le voyezvous devant un à-pic de vingt mètres, se deman­ dant par quel sortilège nous sommes descendus. Pauvre Dal! quand j’aurai gagné la France il faudra que je lui envoie un petit cadeau… Qu’est-ce que vous diriez d’un appareil de prise de vues?… Je ris encore quand je le vois parader avec ses chiens devant mon appareil vide… Évidemment, je manque de cœur… C’est un sentiment tout à fait respectable que de vouloir se montrer à ses parents dans toute sa gloire… Figurez-vous, Louis, j’adorais, quand j’étais étudiant, jouer la comédie… Cela va me servir [3.145.16.90] Project MUSE (2024-04-19 06:01 GMT) [ 161 ] LA LOI DU NORD encore. Il va me falloir étudier le rôle de bûcheron irlandais . Heureu­ sement, j’ai pratiqué Synge. Je sais par cœur des répliques du Mariage des rétameurs… Je suis aussi un type dans le genre de Bottom, je puis rugir comme un rossignol… Seulement, j’aimerais mieux, pendant la traversée, faire un autre métier que celui de soutier… Maître d’hôtel, par exemple… – Sur cette ligne-là, ils sont tous plus ou moins japonais, je crois. – Tant pis pour moi et pour eux… J’ai eu des domestiques, et je me serais rappelé comment ils servaient à table… Ils auraient vu ce que c’est que le «grand service», comme disait mon ancien valet de chambre… J’ai dans l’idée, Jacqueline, qu’après ce voyage, nous aurons «plus de souvenirs que si nous avions cent ans». Et qu’est-ce que je pourrai faire à Paris pour m’occuper?… Fonder une revue littéraire?… Ou bien jouer au polo?… Le golf ne sera plus assez mouvementé pour nous… Nous voyez-vous pousser une balle dans un trou sur un petit gazon bien tendre?… Un voyage en Angleterre, peut-être?… On ira voir les parents de Dal à Warwick… – Si vous croyez, dis-je, que le vieux soldat vous pardonnera la mort des chiens de son fils, vous ne savez rien du caract ère anglais… Croyez-moi, Robert, mieux vaut s’abstenir de cette petite visite. * [ 162 ] LA LOI DU NORD Mais...

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