In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

V COUPS DE FEU Trois jours se passèrent, et, comme il était tombé un peu de neige, je repris de l’espoir. De plus, je m’étais accoutumé peu à peu à toutes mes pensées, même à celle de la potence. C’est étonnant comme l’homme s’adapte vite aux pires climats moraux. Je m’accoutumai à la chute de la Loi, un peu comme un soldat s’accoutume à la chute des obus. À mon silence soucieux avait succédé une sorte de joie frénétique. Je me dépensais à siffler, à faire des mots sur les incidents de la route. Était-ce à cette exubérance que je devais de maigrir avec une rapidité étonnante? Chaque matin j’étais obligé de resserrer d’un cran la ceinture de mon gros pantalon d’étoffe bourrue et indéchirable, le mackinaw, cher aux coureurs de bois, que les métis francoindiens appellent d’un joli nom: le craint-rien. Une ombre à ma joie cependant ! Il me semblait que Jacqueline m’évitait. Elle ne m’adressait plus la parole. Si je lui parlais, elle me répondait par monosyllabes. Elle souriait en me répondant, mais l’effort qu’elle faisait était visible. Cependant, vis-à-vis de Robert, elle ne paraissait pas changée. [ 144 ] LA LOI DU NORD Ou, si elle était changée, c’est qu’elle redoublait encore de prévenances pour lui… À l’heure des repas – vous vous rappelez qu’elle se chargeait des fonctions culinaires – l’assiette de Shaw contenait, ostensiblement, les meilleurs morceaux. Si bien que celui-ci s’en aperçut et eut honte. – Jacqueline, dit-il, je pense avoir droit à ma part des bonnes choses, comme chacun de nous. Mais je crois que Louis a les mêmes droits que moi. Le rire de Jacqueline sonna faux, tandis qu’elle répliquait: – Les hommes du Grand Nord ne connaissent rien à la gourmandise. Les haricots au lard sont ce qu’ils aiment le mieux. Ce serait pitié de gaspiller le morceau qui est justement cuit à point pour un convive qui mange avec la même indifférence une tranche juteuse ou une semelle de soulier… Je crus bon d’entrer dans le jeu, même sans en comprendre les règles, et je dis: – Les bons cuisiniers sont les meurtriers de l’humanité. – Il y a là-dessus, énonça Shaw, un vieux proverbe latin : Quator occidunt hominem… Mais – il se tourna vers Jacqueline – vous ne savez pas le latin, alors je traduis:«L’homme meurt de quatre choses, d’une femme trop belle, d’un tempérament trop irascible, de vins trop généreux et de chair trop abondante.» Voyez ce que c’est que d’être passé jadis par Harvard. Ce doit être la première fois que le génie des humanités classiques éclaire ces régions barbares… [18.191.157.186] Project MUSE (2024-04-18 13:28 GMT) [ 145 ] LA LOI DU NORD Mais je pensais à part moi que notre ère de progrès a également ajouté la potence à ces quatre genres de mort. Ce perfectionnement me semblait indésirable. * Comme je l’avais prévu, les montagnes se firent plus hautes. Et nous dûmes abandonner le lit de la rivière, ramenée à proportion d’un torrent, et que le tumulte de son eau empêchait de geler suffisamment pour faire une piste praticable. Si les montagnes se haussaient, elles demeuraient encore du type dit«à vaches». Ce qui nous fut tout particulièrement précieux ce fut ce grand nombre de chiens, dont la prévoyance de Shaw nous avait dotés. Huit chiens montent allègrement une côte où quatre peineraient. Mais cette médaille avait son revers. Et la question nourriture se posait. Un daim abattu par Jaqueline – décidément elle était une sportswoman uni­ verselle – disparut en quelques instants sous la meute féroce. Les chiens se battaient sur l’amas de viande et de tripaille, insensibles aux coups de fouet que je leur prodiguais. La peau de l’animal, même, disparut sous leurs dents voraces. Quelle curée chaude! Après quoi, saouls de sang, ils dévalèrent une pente abrupte, à un train dangereux pour nos traîneaux et pour nous-mêmes. Puis ce fut une nouvelles ascension, dure à nos pauvres genoux. Nous tuâmes, ce jour-là, notre premier grand tétras. C’était un coq magnifique, d’un bleu noir, qui nous fournit l’un des r...

Share