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1 HoLogRAMMES D’unE MéMoIRE DéSoBéISSAnTE: Les animitas du chili Lautaro Ojeda Ledesma Résumé L’objectif de cet article est d’analyser la relation qui existe entre religiosit é populaire et espace urbain dans la pratique des animitas du Chili. Pour cela nous proposons d’utiliser le concept « d’hologramme de la mort imprévue », qui les considère simultanément comme sujet, comme objet et comme lieu. La recherche s’appuie sur des entretiens, une banque de données photographiques, un atlas géoréférencé et l’analyse topologique de 219 animitas de la ville portuaire de Valparaíso. Cette ville, inscrite sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2003, nous révèle une relation conflictuelle entre deux types de patrimoine urbain, l’un institutionnel et l’autre informel. Les animitas, présentes en grand nombre dans la zone de conservation historique où parfois elles circonviennent des monuments classés, matérialisent cette confrontation et imposent une mémoire désobéissante. [18.221.41.214] Project MUSE (2024-04-20 00:34 GMT) Hologrammes d’une mémoire désobéissante 13 A u Chili, la question du patrimoine s’institutionnalise en 1925 avec la création du Conseil des monuments nationaux et la Loi no 651. Ce mouvement accompagne la construction de l’identité nationale et transpose les canons européens en privilégiant les églises, les forts et les édifices monumentaux de caractère public. Cela changera en 1970 avec la nouvelle Loi no 17.288 du Conseil des monuments qui inclut les sites préhispaniques dans le corpus patrimonial de la République. Dès lors, au Chili, tout élément considéré comme patrimonial devient un bien muséal intouchable, qui ne doit être contaminé par rien de ce que la doxa considère comme laid, sale et désagréable. A contrario, un regard négatif est porté sur les manifestations informelles, matérielles et immatérielles qui se déploient dans l’espace public chilien, à l’instar des animitas1, qui sont des édicules qui commémorent des décès tragiques survenus dans des lieux insolites. Érigées sans autorisation, dépourvues de statut laïc ou religieux, elles n’en tiennent pas moins un rôle majeur dans la perception et les pratiques populaires de l’espace, qu’elles viennent «sacraliser» sous diverses formes, sans contrarier la vie quotidienne, que ce soit dans la ville contemporaine ou dans l’espace rural. Les animitas, comme objet de culte et lieu de mémoire, s’opposent à ce que les autorités chiliennes entendent par patrimoine urbain, car les raisons de leur édification et les pratiques qui s’y attachent sont considérées comme une marque d’inculture et de superstition (figures 1-3). Loin d’embellir ou de magnifier l’espace public, elles traduiraient une incivilité. Au Chili, elles existent pourtant depuis le xixe siècle et présentent de fortes analogies avec quelques pratiques préhispaniques, mais, loin de leur valoir l’attention et le respect, cette pérennité dérange et inquiète l’État et ses institutions qui, dans la vivacité des pratiques populaires, croient déceler une contestation de l’histoire officielle fondant la Nation. En cela, les animitas s’inscrivent dans une mémoire désobéissante. 1. Étymologiquement, animita vient du latin ánima (animus) – qui signifie «le souffle, l’air qui se propage dans le corps» – augmenté du suffixe ita. Il s’agit donc d’un principe de vie. 14 La patrimonialisation de l’urbain Figure 1 Photographie d’une animita de la route 68 entre Valparaíso et Santiago. Photo: Lautaro Ojeda Ledesma, 2010. Hologrammes d’une mémoire désobéissante 15 Figure 2 Photographie d’une animita de Calama, nord du Chili. Photo: Lautaro Ojeda Ledesma, 2010. 16 La patrimonialisation de l’urbain Figure 3 Photographie de l’animita d’Émile Dubois, cimetière no 3 de Valparaíso. Photo: Lautaro Ojeda Ledesma, 2010. Hologrammes d’une mémoire désobéissante 17 Qu’est‑ce qu’une animita? Les animitas sont des cénotaphes populaires édifiés spontanément. Elles adoptent des formes multiples évocatrices du foyer domestique, de l’église, d’une grotte ou de toute autre remémoration censée gratifier le défunt2. Ces édicules «organiques» peuvent être considérés, simultanément, comme objets de culte, comme lieux de mémoire et comme pratiques populaires (figure 4). Les animitas oscillent...

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