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L’histoire du Centre universitaire expérimental de Vincennes au prisme des disciplines académiques1 10 Charles Soulié Je pense que les universitaires sont beaucoup plus menés par des intérêts académiques que par des intérêts politiques. P . Bourdieu2 Pendant les années 1960, la France connaît une période de croissance économique et de modernisation rapide. Et cette croissance s’opère dans le cadre d’un rajeunissement de la population lié au baby-boom de l’aprèsguerre . Ces évolutions sont contemporaines d’une augmentation accélérée des effectifs étudiants, qui doublent entre 1961 et 1968. À la fin des années 1960 les universités françaises, et notamment la Sorbonne, craquent déjà sous le poids des étudiants . De même, les anciennes structures académiques et façons d’enseigner sont de plus en plus inadaptées à ce nouveau public. Ainsi, le cours magistral est très critiqué au profit d’un enseignement par petits groupes, plus interactif, etc. On rejette les rapports formels et trop hiérarchiques entre étudiants et enseignants, comme entre enseignants . Une forte exigence d’égalité, de réciprocité prend corps. D’où la critique du mandarinat, c’est-à-dire du pouvoir des gérontes universitaires. Dans leur critique des structures de pouvoir académique, les étudiants rencontrent une fraction des enseignants les plus jeunes recrutés en masse pour faire face à l’afflux des étudiants, ainsi que la frange la plus moderniste et réformatrice du corps professoral comme des gouvernants . En effet, ces structures ne donnent «voix au chapitre» qu’aux plus gradés (et âgés) des enseignants et excluent les étudiants comme le personnel administratif 1. Ce chapitre synthétise quelques-uns des résultats d’une recherche collective sur l’histoire de l’Université de Vincennes à paraître sous forme d’ouvrage en 2011 aux Presses universitaires de Vincennes . 2 . Pierre Bourdieu et Roger Chartier, Le Sociologue et l’historien, Marseille, Agone, 2010, p. 40. 176 Chapitre 10 et technique. De même, la division de l’université française en facultés étanches est fortement critiquée au nom des exigences de la science et de l’interdisciplinarité. Mais on s’interroge aussi sur les finalités de l’université. Doit-elle simplement servir à former les futurs cadres dont les administrations et entreprises ont besoin? Sa fonction de recherche, fonction nécessairement critique, voire émancipatrice, n’est-elle pas négligée au profit d’une conception purement instrumentale des études universitaires? Les étudiants critiquent aussi ses fonctions de classe. Et de fait, l’accès à l’universit é comme aux grandes écoles est encore, malgré sa massification récente, pour l’essentiel réservé aux enfants de la petite et grande bourgeoisie3 . Avec la fortune du marxisme sur les campus universitaires dans les années 1960-1970, ce thème rencontre un écho considérable, tant chez les étudiants que chez les enseignants. L’ensemble de ces transformations conditionne la naissance de nouveaux établissements universitaires . Dans le cadre de ce chapitre, nous nous intéresserons plus particulièrement à la naissance et aux premières années de ce qui, en décembre 1970, devient l’Université de Paris VIII Vincennes. Et nous nous interrogerons sur l’effet, particulièrement différencié selon les disciplines, de la politisation des questions tant pédagogiques que scientifiques en le rapportant notamment aux rapports de forces symboliques entre ces disciplines . Fondations La création de ce qui initialement s’appelle le Centre universitaire expérimental de Vincennes est à rapporter au contexte de crise universitaire, mais aussi sociale et générationnelle, décrit précédemment et qui prend un tour particulièrement aigu en mai 1968 . En novembre 1968, il conduit le gouvernement français à faire voter une réforme des universités, appelée Loi d’orientation, et donnant naissance à des universités autonomes dotées de présidents élus par l’ensemble de la communauté universitaire. Par exemple la Sorbonne, que nombre d’observateurs s’accordent à trouver trop grosse, et par là même ingouvernable, éclate en plusieurs entités (Paris I, II, III, IV, etc.). De même, le gouvernement crée deux centres universitaires expérimentaux: en l’occurrence Dauphine, orientée vers les 3 . Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, Les Héritiers, les étudiants et la culture, Paris, Éditions de Minuit, 1964. [3.15.229.164] Project MUSE (2024-04-26 06:12 GMT) L...

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