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chapitre 6 InSuRREcTIon LocALE ou AgEnDA gLoBAL? Déconstruire les logiques du «terrorisme somalien» Benjamin Ducol Vingt ans après la chute du régime de Siad Barre, la Somalie ne connaît toujours pas de stabilité politique, et ce, en dépit de multiples initiatives visant à promouvoir un processus de réconciliation dans le pays1 . Alors que la prise de pouvoir temporaire par l’Union des tribunaux islamiques (UTI) au cours de l’année 2006 semblait indiquer l’émergence d’une nouvelle forme d’arbitrage politique au niveau local, l’intervention militaire éthiopienne destinée à renverser cette hétéroclite coalition a favorisé l’irruption d’une insurrection complexe, radicalisant au passage la 1. Ken Menkhaus, «A history of mediation in Somalia since 1988 », The Search for Peace : Somali Programme, Alliance internationale pour la conciliation de la paix, 2009. Terrorisme et insurrection 138 nature des agendas idéologiques présents en Somalie. Alors que « fragmentation » semble aujourd’hui le maître mot pour qualifier le contexte somalien, il convient de remettre en perspective la recomposition d’un jeu insurrectionnel entre factions combattantes. Comment expliquer la montée en puissance d’une mouvance jihadiste jusqu’ici largement absente du territoire somalien ? Comment analyser la mise en concurrence d’une logique insurrectionnelle d’ordre ethnonationaliste et d’une logique terroriste à vocation globale, si ce n’est globalisante ? Comment éclairer les dynamiques parallèles d’une autonomisation progressive des éléments insurrectionnels les plus radicaux et l’intronisation subséquente de nouvelles tactiques terroristes jusqu’alors inexistantes en Somalie? En adoptant une grille de lecture sociohistorique, ce chapitre tente de déconstruire ce qui a pu être désigné au cours des dernières années comme un nouveau «terrorisme somalien». Éclairant les conditions d’émergence d’une forme d’islamisme révolutionnaire en réponse à l’échec d’un nationalisme pansomalien, notre analyse s’intéresse en premier lieu à la tentative avortée d’al-Qaida de nourrir sa propre ambition planétaire en récupérant et en manipulant à son propre bénéfice les mobilisations révolutionnaires et nationalistes dans la Somalie d’après 1991. En dépit d’une volonté de pénétrer l’espace politique somalien clairement affichée au cours de la décennie 1990, al-Qaida doit composer avec une double résistance des structures identitaires locales et du caractère profondément ethnonationaliste de l’islamisme révolutionnaire somalien. Entre 1992 et 1993, les tensions multiples émanant de l’expérience d’al-Qaida sur le terrain somalien illustrent parfaitement cette concurrence qui existe entre des acteurs aux revendications politiques somme toute profondément contradictoires dans leur affirmation. Après avoir mis en lumière l’échec d’al-Qaida à tirer durablement profit du chaos somalien, notre regard se porte sur les diverses recompositions des logiques conflictuelles dans l’après 11 septembre 2001. Marqué par une ingérence croissante de la part d’acteurs extérieurs – États-Unis, Éthiopie, Érythrée, mais aussi al-Qaida –, le conflit somalien devient peu à peu le théâtre de nouvelles expérimentations où «insurrection locale» et« imaginaire global » finissent par reconfigurer en profondeur l’agenda idéologique des factions insurgées, leur imbrication dans l’espace social somalien et par conséquent les choix stratégiques qui peuvent en découler en matière d’utilisation de la violence armée. En définitive, une série d’éléments – stratégies d’imitation, concurrence insurrectionnelle, poids des combattants étrangers, ou encore perspectives de marginalisation politique – concorde à un renouveau des prétentions jihadistes en Somalie. Le mouvement al-Shabaab s’autonomisant des logiques insurrectionnelles d’ordre plus ethnonationalistes, sa montée en puissance, en particulier au [3.17.154.171] Project MUSE (2024-04-25 02:27 GMT) Insurrection locale ou agenda global? 139 tournant de l’année 2009, pose le problème d’une dangereuse internationalisation du conflit somalien. Alors même que la famine de l’été 2011 aura accentué une situation humanitaire déjà extrêmement alarmante2 , la Somalie n’en finit plus aujourd’hui d’être acculée dans une impasse politique qui s’avère le fruit tant d’une concurrence politique exacerbée entre acteurs locaux que des ingérences pernicieuses et très souvent maladroites de la communauté internationale. . AuX RAcInES DE L’ISLAMISME EThnonATIonALISTE: échEc Du nATIonALISME pAnSoMALIEn ET conTESTATIon SocIoRévoLuTIonnAIRE Territoire fragmenté par les colonisations italienne (Somalia) et britannique (Somaliland), la Somalie parvient...

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