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1. L’institution de la maternité
- Presses de l'Université du Québec
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C H A P I T R E 1 L’InstItutIon de La maternIté dominique damant Université de Montréal marie-ève chartré Université de Montréal simon Lapierre Université d’Ottawa Il n’est pas facile de définir avec précision ce qu’est la maternité. Comme l’indique Forcey (1994), la maternité est un ensemble d’activités socialement construites, impliquant l’éducation, la prise en charge et les soins. À cela, Levine et Estable (1981) ajoutent que la maternité est faite de joie, de peine et de luttes humaines. À l’instar de Rich (1976) et d’autres auteures féministes, nous considérons qu’au-delà d’une expérience individuelle («mothering») la maternité est institutionnalisée («motherhood») et donc au cœur de la vie de toutes les femmes. En effet, même si les expériences de la maternité sont diversifiées, l’institution de la maternité, elle, touche toutes les femmes. L’objectif de ce chapitre1 est de faire le point sur la maternité comme institution. 1. Le travail associé à ce chapitre s’inscrit dans une recherche financée par le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH), intitulée Mothering in the Context of Domestic Violence in Canada and the United Kingdom: A Focus on Aboriginal and Black and Minority Ethnic Women (Damant et al., 2009-2012). 6 Regards critiques sur la maternité dans divers contextes sociaux 1. La construction sociaLe de La maternité Les valeurs et les normes entourant la maternité varient historiquement et culturellement (Badinter, 1980; Glenn, 1994, Descarries et Corbeil, 2002; Garcia, 2011). Il est possible d’appréhender l’évolution des normes associ ées à la maternité au fil des siècles en se penchant sur les normes relatives à l’éducation des enfants. Hays (1996) souligne ainsi que chaque période historique, à l’intérieur de toute région géographique, offre ses propres modèles culturels pour l’éducation des enfants. Pour certains auteurs, il fut une longue période où la société exprimait de l’indifférence vis-à-vis des enfants, tandis qu’on observe actuellement une préoccupation marquée pour le bien-être de ces derniers (Ariès, 1973; Swigart, 1992; deMause, 1995). À cet égard, Hays (1996) soutient qu’à l’époque médiévale les parents étaient indifférents envers leurs enfants et que l’enfance était considérée comme un état de nature plutôt que comme un âge ayant ses caractéristiques propres. En Europe, aux XVIIe et XVIIIe siècles, on faisait référence à l’innocence des enfants, tandis que l’enfant américain était plutôt considéré comme une source de revenus pour la famille. Pour Ariès (1973), la découverte de l’enfance est un fait récent dans l’histoire des sociétés. Il avance que ce n’est qu’à la fin du XVIIIe siècle qu’on a assisté à un changement d’attitude à l’égard des premiers âges de la vie; l’enfance à laquelle on ne s’était guère intéressé est soudainement l’objet d’une affection nouvelle. Dans le même sens, Hoyles (1979) affirme que «both childhood and our present-day nuclear family are comparatively recent social inventions» (p. 16). Ces changements s’inscriraient en lien avec des changements dans les structures sociales et économiques, notamment en ce qui a trait au rôle de la communauté dans la prise en charge des enfants. En Occident, au moment de l’industrialisation et de l’arrivée en ville, plusieurs familles ont rompu le réseau de liens avec la parenté et la communauté, se repliant ainsi sur les enfants, dont le bien-être physique et psychologique constituait désormais la priorité (Garcia, 2011). Cette thèse a cependant été critiquée par plusieurs auteurs, qui remettent en question l’idée d’un processus linéaire. Écartant tout désir de désigner un âge d’or de la consécration de l’enfance, leurs travaux visent non seulement à montrer que chaque époque élabore sa culture et ses méthodes de soins à prodiguer aux enfants, mais surtout à mettre en lumière la complexité des relations entre les enfants et les adultes ainsi que des modèles culturels qui les inspirent (Le Roy Ladurie, 1975; Loux, 1975; Quentel, 1993; Becchi et Julia, 1998). Cette complexité est évidente lorsqu’on examine les variations en fonction de l’appartenance sociale et de la culture. Par exemple, Hays (1996) soutient qu’au XIXe...