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Chapitre 20. Ruptures et continuités des inégalités urbaines : les gated communities en Amérique latine
- Presses de l'Université du Québec
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C H A P I T R E 2 0 RUPTURES ET CONTINUITÉS DES INÉGALITÉS URBAINES Les gated communities en Amérique latine VIVIANA RIWILIS Chargée de cours, Institut d’urbanisme, Université de Montréal, Montréal, Canada UN REGARD SUR L’HISTOIRE DES VILLES PERMET D’ÉTABLIR UNE ANALOGIE entre les quartiers résidentiels fermés (QRF) contemporains et les villes médiévales entourées de murailles. Toujours sous un angle historique, on remarque aussi que certains éléments du discours des promoteurs de QRF sont inspirés des modèles d’utopies urbaines du xixe siècle, notamment de ceux qui annonçaient l’harmonie sociale grâce à l’organisation spatiale. Ce n’est donc pas l’originalit é, mais plutôt la prolifération du modèle des QRF sur l’ensemble de la planète (ou presque) qui est étonnante de nos jours. De plus, la popularité croissante de modèles résidentiels sécurisés évoque un phénomène social complexe abordé par divers champs disciplinaires: dans les analyses de nature plus sociologique, ils sont présentés sous l’angle communautaire (Caldeira, 1996; Low, 2003), sous l’angle de la ségrégation (Arizaga, 2000; Roitman, 2005) ou encore comme des formes résidentielles qui menacent la cohésion sociale (Séguin, 2003). Dans le domaine politique et administratif, on associe la prolifération des ensembles résidentiels privés au fort consensus dont jouissent les politiques de privatisation d’inspiration néolibérale (Glasze, 2005; McKenzie, 2005; Pirez, 2002), en considérant les associations de propriétaires comme des «gouvernements privés». Notre terrain d’étude sera celui de la municipalité de Tigre dans la région métropolitaine de Buenos Aires. Selon le recensement réalisé en 2001, cette municipalité compte 300 385 habitants, dont 58,3% ont accès au réseau d’eau 318 Métropoles des Amériques en mutation potable et 13,7%, au système d’égouts. Il faut noter que ces valeurs demeurent inférieures à la moyenne de la région métropolitaine (excluant la ville de Buenos Aires), où 68,1% de la population a accès au réseau d’eau potable, et 39,2%, au système d’égouts (INDEC, 2001). Située dans la deuxième couronne métropolitaine , cette municipalité a connu une forte croissance des quartiers résidentiels privés, ces derniers passant de quatre en 1991 à soixante en 2001. Dirigée pendant dix-neuf ans par un maire indépendant et doté d’une très forte personnalité, la municipalité de Tigre a justifié l’implantation de QRF par un discours qui faisait valoir les avantages d’une possible augmentation de l’assiette fiscale. Ce discours proclamait aussi que ces gains permettraient d’améliorer la qualité des services publics et des équipements collectifs de la population défavorisée de la municipalit é. Or, cela n’est pas forcément le cas. En effet, on peut se demander si la présence de nouvelles couches sociales et la construction de résidences à valeur élevée contribuent vraiment à augmenter les ressources locales (à travers les taxes foncières) et, conséquemment, à redistribuer la richesse sociale par l’amélioration des services publics de la municipalité. Autrement dit, les QRF, malgré leur enclavement physique, contribuent-ils à la mise en place d’une certaine forme de solidarité sociale ou, au contraire, contribuent-ils à accroître la fragmentation urbaine? Voilà la question. D’entrée de jeu, il faut dire que l’effet de l’implantation des QRF sur l’inégale accessibilité aux ressources de la ville s’inscrit dans le processus plus large des transformations politiques et administratives mises en place depuis les années 1990, processus caractérisé par la privatisation des services publics et la décentralisation administrative. Cette mise en contexte s’avère très pertinente pour comprendre les inégalités croissantes des métropoles latino-américaines où se conjuguent néolibéralisme, diffusion rapide du modèle des QRF et zones périphériques largement sous-équipées. Nous présenterons, dans un premier temps, les débats théoriques autour des ruptures urbaines associées à ce nouveau modèle résidentiel. Ensuite, nous expliciterons les limites que ces perspectives comportent lorsqu’il s’agit d’étudier l’implantation des QRF dans le contexte latino-américain. Dans un deuxième temps, nous exposerons les résultats obtenus concernant l...