In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

Chapitre 1 La conquête de soi dans la société hypermoderne Nicole Aubert Dans ce texte, nous tenterons de dégager les principales caractéristiques de ce que nous appelons la société hypermoderne, représentative de notre époque de modernité avancée. Puis nous nous interrogerons sur la fonction que remplissent les récits de vie et nous essaierons de montrer comment ils s’inscrivent dans une problématique de reconquête de soi, un soi mis à mal par les excès de la société hypermoderne. Mais d’abord, pourquoi parler d’hypermodernité? En utilisant ce terme, nous mettons l’accent sur le constat d’une exacerbation, d’une radicalisation, voire d’une sorte d’«emballement» de la modernité. Hyper est en effet une notion qui désigne le trop, l’excès, l’au-delà d’une norme ou d’un cadre. Elle implique une connotation d’excès et d’intensité, de dépassement constant, de maximum, de situation limite (Aubert, 2004). Ce sont précisément ces caractéristiques que nous retrouvons dans la société hypermoderne, fruit de la mondialisation de l’économie et des exigences toujours plus fortes de performance, d’adaptabilité, de réactivité qu’elle induit. Tout y est en effet exacerbé, poussé à l’excès, à l’outrance même, tout y est«hyper», qu’il s’agisse de la concurrence, du profit, de la recherche de jouissance, de la violence ; on parle ainsi désormais d’hyperconsommation (Lipovetsky, 2003), mais aussi d’« hyperterrorisme » (Heisbourg, 2001) ou d’« hypercapitalisme » (Aries, 2007), voire de l’« hyperprésident » dont s’est dotée la France, un président dont l’omniprésence excessive et l’activisme effréné s’inscrivent dans cet « au-delà de la norme » que nous évoquions plus haut. 22 Transformations de la modernité et pratiques (auto)biographiques Mais la société hypermoderne est aussi une société de l’éphémère, du court terme, de la rentabilité immédiate. Elle a vu l’émergence d’un nouveau rapport au temps, engendré par l’avènement du capitalisme financier et par la révolution survenue dans les technologies de la communication, impliquant une obligation de réagir instantanément et entraînant une impossibilité de vivre des valeurs de long terme. Accompagnant ce nouveau rapport au temps, ce sont un nouveau rapport aux autres et un nouveau rapport à soi qui émergent à leur tour. C’est à partir de ces trois registres que nous tenterons d’appréhender le contexte dans lequel vivent les individus hypermodernes et le besoin qu’ils peuvent avoir, face à l’extrême accélération/fluidité/mobilité de la société dans laquelle ils vivent, de mieux comprendre l’unité et le sens de leur vie au travers d’un récit leur permettant d’en restaurer l’histoire et la signification. 1. Un rapport au temps marqué par l’accélération Depuis les débuts de l’ère capitaliste, notre rapport au temps a fait l’objet d’une accélération continue. Celle-ci s’est cependant singulièrement radicalisée cette dernière décennie. Nous sommes ainsi passés d’une période où nous étions soumis au temps, où nous nous insérions dans les contraintes du temps – sans violence – à une période où nous ne voulons plus seulement aller toujours plus vite mais où nous voulons aussi dominer le temps, presque le posséder, pour en tirer le maximum de profit. Pour saisir l’ampleur de cette mutation, il suffit d’observer l’évolution des métaphores les plus courantes que l’on emploie à propos du temps. À côté des métaphores les plus couramment employées – celles qui font référence à l’idée de «flux» et de «fuite» du temps (le temps «s’écoule», le temps « passe », le temps « fuit ») ou qui ont trait à la notion de possession et de rentabilité (« avoir du temps », « manquer de temps », « perdre son temps »,« gagner du temps », « le temps c’est de l’argent ») – a succédé depuis une quinzaine d’années un troisième type de métaphores qui ont envahi tout le champ des représentations contemporaines à propos du temps. Beaucoup d’analyses économiques ou sociales font dorénavant état de la contraction du temps, de l’accélération du temps, de la compression du temps, induites par la mondialisation et le fonctionnement « en temps réel » de l’économie et des marchés financiers...

Share