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Chapitre 10«Moi, j’ai tout appris à l’école de la vie!»: le récit de vie comme révélateur des apprentissages d’adultes brésiliens non scolarisés Candy Laurendon-Marques Maryvonne Merri Le Brésil a connu une migration massive de la campagne vers la ville. Le migrant, le plus souvent non scolarisé, fait face en ville à des défis quotidiens, tels la gestion du budget et les échanges marchands. Ces personnes parlent d’«école de la vie». Pour étudier ces apprentissages, six femmes « migrantes de l’intérieur » nous ont relaté leur parcours de vie. Leurs récits révèlent non seulement les compétences acquises mais autant les structures de participation (Rogoff et al., 2003) dont elles ont tiré profit tels la collaboration de leurs proches ou encore les dispositifs d’instruction mis en place par leur employeur. La recherche1 présentée dans cet article a été réalisée à la demande d’une organisation non gouvernementale brésilienne2 investie dans la formation des adultes non scolarisés de la classe populaire urbaine3. En effet, le mouvement de migration de la campagne vers la ville s’est amplifié au Brésil au cours du XXe siècle. Or en 2003, 38 % de la population brésilienne actuelle est analphabète 1. Cette recherche a été réalisée grâce à l’obtention d’une bourse Lavoisier-Brésil du ministère français des Affaires étrangères. 2. Le GEEMPA (Grupo de estudos sobre educação, metodologia de pesquisa e ação) est une organisation non gouvernementale qui propose des ateliers massifs d’alphabétisation destinés à des enfants et à des adultes de classes sociales populaires et des travailleurs. L’ONG cherchait à étendre sa méthodologie au domaine des mathématiques. 3. La classe populaire désigne au Brésil les travailleurs qui ne détiennent pas de carte de travail, c’est-à-dire les travailleurs du marché informel. 162 Transformations de la modernité et pratiques (auto)biographiques fonctionnelle ou ne possède que des rudiments d’alphabétisation4 alors que les activités quotidiennes à la ville requièrent fréquemment des compétences de littératie. Les femmes participant à cette recherche sont âgées de 55 à 86 ans et sont récemment alphabétisées. Elles s’apprêtent à suivre un programme de postalphab étisation en portugais et en mathématiques. Ces femmes, actuellement à la retraite, ont migré de la campagne vers Porto Alegre dans le sud du Brésil àla recherche de meilleures conditions de vie. Elles assimilent leurs succès personnels à des défis surmontés dans la vie quotidienne et à ce qu’elles nomment l’« école de la vie ». Mais qu’apprend-on à l’école de la vie et comment y apprend-on ? Telles sont les questions que nous étudions ici afin de préciser les contours de cette expression brésilienne. Le récit de vie apparaît comme une méthode adéquate pour préciser cette notion populaire d’école de la vie. Ce récit est mis en œuvre par une personne révélant comment elle a fait face aux sollicitations des multiples institutions tout en élaborant un projet pour elle-même et en composant avec les prérogatives relatives à son genre et à sa classe sociale. Pour maîtriser les situations problématiques de la grande ville, les femmes doivent certes faire usage de « la force de leur bonne volonté5 » mais peuvent éventuellement profiter des apports d’autrui. Dans une première partie, nous présentons la définition interculturelle de l’apprentissage proposée par Rogoff (1995). Suivant cette perspective, nous accordons autant d’attention aux structures de participation sociale dans lesquelles s’insèrent les femmes brésiliennes qu’aux compétences qu’elles acquièrent. Nous démontrons ensuite l’intérêt d’une approche ethnographique du récit de vie pour étudier les apprentissages dans les migrations urbaines. Enfin, nous révélons le parcours des participantes à cette recherche et leurs apprentissages. 1. Une définition de l’apprentissage en dehors de l’école Barbara Rogoff (1995) étudie l’apprentissage dans un souci de comparaison interculturelle. Sa théorie propose de distinguer trois plans d’analyse des acquisitions dans une culture donnée : « apprentissage », « participation guidée » et« participation appropriative ». Ces trois plans correspondent à des points de vue articulés et tous nécessaires. 4. Masagao Ribeiro et Batista (2006) proposent une importante synthèse des statistiques...

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