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La retraite à l’épreuve des retours à l’emploi Le cas du Québec Aline Chamahian«Prendre sa retraite pour mieux travailler», voici comment le quotidien québécois Le Devoir rend compte, le 4 janvier 2007, des résultats de l’enquête Decima commandée par le Groupe Investors. Depuis le début des années 2000, la réalité de la retraite se transforme en même temps que l’allongement de la vie au travail se concrétise. La retraite ne marque plus un seuil irréversible, ni même ne correspond à un «événement», elle rythme des fins de carrière plus complexes et plus flexibles. Dès lors, le sociologue qui s’intéresse à ce temps de l’existence n’a d’autre choix que de le saisir dans sa dimension processuelle (Crespo, 2005; D’Amours et Lesemann, 2005). Cette approche a déjà été développée dans les travaux français sur la retraite, notamment ceux de Caradec, qui propose d’appréhender l’analyse de la transition vers la retraite en trois moments: une période de désocialisation professionnelle anticipée, une période de crise qui n’est pas vécue ainsi puisqu’elle a été anticipée et une période d’investissement dans de nouvelles activités qui donnent son sens à la vie de retraite (2004). Or, si – dans le contexte québécois – les activités investies à la retraite ne se limitent plus aux seules activités de loisirs, orientées vers la vie familiale, culturelle et personnelle, et qu’elles intègrent des activités rémunérées, comment penser la période de désocialisation professionnelle et le travail d’anticipation de ce temps de l’existence? Comment penser aussi le rapport de ces retraités à la retraite? Pour le dire autrement, existe-t-il des décalages entre la vie de retraite telle qu’on l’imagine avant de la prendre et celle qui est vécue? Et, par conséquent, en tant que retraités «en emploi», quel rapport entretient-on à la retraite? À travers ce questionnement, nous faisons l’hypothèse que la retraite, comme temps institutionnalisé, oriente toujours les parcours individuels, mais que dans le même temps sa réalité se complexifie. 182 Performance organisationnelle et temps sociaux Dans cet article, nous nous proposons de réfléchir aux transformations qui affectent les parcours de vie dans leur ensemble et d’observer «par le bas» une expérience particulière de la vie de retraite, qui ne rime plus avec une sortie définitive de l’emploi1 . Après une première partie consacrée à un rapide cadrage théorique et sociohistorique sur la construction sociale des parcours de vie en général et du temps de la retraite en particulier, nous explorerons, dans un second temps, trois expériences typiques du retour à l’emploi à l’heure de la retraite, à partir desquelles nous tenterons d’éclairer la mise en tension entre temps vécu et temps institutionnalisé2 . 1. LA RETRAITE: UNE INSTITUTION SOCIALE EN MUTATION Si la question du retour à l’emploi des retraités fait l’objet de débats plus ou moins vifs selon que l’on se situe en Amérique du Nord ou en Europe, c’est qu’elle est fortement marquée par une certaine conception de la structuration des temps sociaux qui a fait du temps de la retraite – avec la société industrielle – un temps situé en dehors du travail. Force est de constater que cette réalité sociale est en train de s’effriter et que les fins de carrière se complexifient en amont et en aval de la «prise de retraite». 1.1. Entre institutionnalisation et flexibilisation des parcours de vie L’ère industrielle a profondément marqué l’ordonnancement des parcours de vie dans les sociétés occidentales, par un large processus d’institutionnalisation des temps sociaux au sein duquel l’âge, comme critère normatif et standardisé, joue de tout son poids (Chamahian et Lefrançois, 2012), construisant des «modèles institutionnels d’existence» (Beck, 2001). Dans ce cadre, la «société salariale» (Castel, 1995) a institutionnalisé les parcours en trois grands moments, au sein desquels le temps de travail se positionne comme un «temps pivot»: le temps de la formation étroitement lié à la jeunesse en vue d’une insertion sociale et professionnelle; le temps professionnel caractérisant la vie adulte et permettant de constituer...

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