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Chapitre 2 Le Musée NaTIoNaL des BeauX-arTs du QuéBec esT-IL coNdaMNé À séduIre? Jason Luckerhoff1 Université du québec à trois-rivières La tension que vivent les gestionnaires de nombreuses organisations culturelles entre les règles de création et celles du business (Martin, 1992), tension à laquelle référait Bourdieu lorsqu’il parlait de la valorisation par les critères culturels, d’une part, et la valorisation par les critères de marché, d’autre part, est au cœur de l’apparition du phénom ène que certains auteurs ont appelé l’«industrie culturelle» (ou les«industries culturelles2»). La dénonciation de la subordination de l’Art aux règles du marché capitaliste reflète les tensions que vivent et souvent dénoncent les créateurs. Cette dénonciation n’est pas nouvelle: on se souvient qu’Adorno et horkheimer (1972) et tous les philosophes de l’École de Francfort ont été les premiers à s’élever contre la culture de 1. L’auteur remercie françois guillemette (Université du québec à trois-rivières), Pénélope daignault (Université Laval), marie-Claude Larouche (Université du québec à trois-rivières), daniel Jacobi (Université d’avignon), marie-Claude Lapointe (Université du québec à troisrivi ères), rosaire garon (Université du québec à trois-rivières) et mireille Lalancette (Université du québec à trois-rivières) pour leurs remarques sur les premières versions de ce texte. il remercie aussi les employés du musée national des beaux-arts du québec pour leur collaboration. finalement, il remercie les deux évaluateurs qui ont fourni des commentaires constructifs dans le cadre du processus d’évaluation à l’aveugle. 2. Pour une définition et un historique de l’industrie culturelle et des industries culturelles, nous référons à martin (1992) et à tremblay et Lacroix (2002). masse et, en parlant de l’industrie culturelle, ils critiquaient violemment une culture de l’abêtissement de la population gouvernée par la seule préoccupation de sa rentabilité dans une économie marchande. Plus généralement, la critique d’Adorno est-elle encore d’actualité? Est-il possible d’associer le symbolique (et les valeurs culturelles) à la gestion et à la production de biens (les valeurs industrielles)? Augustin Girard a publié un article qui a provoqué des réactions vives dans le milieu culturel lorsqu’il était chef du Service des études et recherches du ministère français de la Culture en 1978. Il affirmait alors que «le progrès de la démocratisation et de la décentralisation est en train de se réaliser avec beaucoup plus d’ampleur par les produits industriels accessibles sur le marché qu’avec les “produits” subventionnés par la puissance publique» (p. 598). Autant en France et au Québec qu’ailleurs dans le monde, les États appuient de nombreuses industries culturelles. Comme l’écrivait Girard (1978), les techniques de masse «ont leurs fatalités anti-culturelles, mais il n’y a probablement pas d’alternative si ceux qui ont vocation à être les gardiens de la culture veulent élargir leurs contacts avec la grande part de la population» (p. 603). Cette tension entre la valorisation par les critères culturels et la soumission aux critères du marché est présente jusque dans les politiques culturelles ayant choisi des objectifs volontaristes de l’accès à la culture du plus grand nombre. La démocratisation des publics est un enjeu social «d’accès à la culture des populations moins favorisées, que visent depuis les années soixante les politiques publiques […] la notion de droit à la culture ou encore la préoccupation pour le “non-public”» (heinich, 2004, p. 52). Par contre, l’intensification des pratiques est «un enjeu commercial de rentabilisation des établissements publics de la culture, de plus en plus requis de fonctionner sur ressources propres, notamment grâce aux entrées» (heinich, 2004, p. 52). Dans le domaine muséal, il existe une opposition semblable qui se traduit par une tension entre, d’une part, la recherche d’excellence en matière de conception d’expositions pour un public averti, cultivé et exigeant, et, d’autre part, la nécessité de faire connaître les œuvres au plus grand nombre, d’élargir le public, par conséquent de l’éduquer, pour qu’il commence à goûter à l’art et parvienne à s’en délecter (Jacobi et Luckerhoff, 2010). Selon Montpetit (1996), la place et la fonction des musées doivent être...

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