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Chapitre 1 Le Musée eT Le PaTrIMoINe une histoire de contextes et d’origines dominique Poulot Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Dans l’histoire européenne, le sens d’un patrimoine s’identifie largement à une tradition de la littérature artistique qui a très tôt rapporté la renommée d’artistes et d’artisans à la configuration d’un territoire et au répertoire de ses monuments, de ses collections et de ses chefsd ’œuvre. La gloire du prince, la qualité d’une population, se trouvaient ainsi reliées à un ensemble de considérations historiques et de jugements de valeur esthétique. Telle est la définition classique du patrimoine dans le désir d’illustrer la gloire de la Cité – Rome, avec le fonds du Capitole, puis avec les collections historiques humanistes, en est le meilleur exemple. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, avec la tradition des antiquaires , le patrimoine local nourrit les diverses histoires spécialisées qui constituaient alors l’essentiel de leur curiosité au sein de musées des ustensiles, des pierres gravées, de la charpente ou du costume, etc. Mais c’est au XIXe siècle, à l’ère de la construction des nationalités, que le monument fournit, à partir de la génération de 1830, à la fois l’inscription privilégiée du patrimoine et le prétexte à toutes les disputes d’experts et d’esthètes à propos de sa conservation. Les monuments incarnent en effet la physionomie de la patrie, tout en fournissant un cours d’histoire de la civilisation, avec Guizot, ou une série de chronotopes romanesques, avec Walter Scott. Ils sont recensés et consolidés de manière concertée au cours du XIXe siècle à travers toute l’Europe grâce à la mise en place d’une surveillance savante, puis du fait de l’élaboration d’une législation spécifique. Le culte moderne des monuments, réflexion commandée par l’administration autrichienne à l’historien d’art viennois Alois Riegl en 1905, tente à l’aube du siècle suivant un relevé de la conscience européenne du patrimoine. L’auteur y met en évidence le jeu des valeurs d’intentionnalit é, d’historicité et d’ancienneté dans les attitudes devant les monuments et juge que l’ensemble des compétences érudites et des investissements patriotiques qui ont déterminé les pratiques du XIXe siècle céderont à l’avenir au goût sentimental de l’ancien, attaché aux marques de l’érosion du temps inscrites sur le bâtiment, sinon à celles de sa ruine. Cette réflexion prend acte, simultanément, de la force des valeurs de contemporanéité – du goût pour le neuf – qui s’oppose à la tradition du respect patrimonial. La généralisation, de fait, du monument «ancien» («toute création humaine pourvu qu’elle témoigne à l’évidence avoir subi l’épreuve du temps», selon la définition de Riegl) au cours du XXe siècle signe un changement majeur, dans le contexte d’un triomphe progressif de l’individualisme et d’un élargissement des publics du patrimoine. Car les politiques éducatives et culturelles de l’État-providence ont fait passer, de l’après Seconde Guerre mondiale aux dernières décennies , le culte de l’héritage de la préoccupation d’une mince élite à un engagement collectif, ne serait-ce que par délégation. Au-delà des enjeux traditionnels d’institutions, le phénomène participe d’une mutation fondamentale: c’est la définition de la culture qui a changé, à partir des années 1960, englobant désormais les aspects les plus divers des pratiques sociales, au moment où le paysage matériel et immatériel connaissait des changements accélérés. Enfin, l’attention portée aux maniements politiques du passé, aux usages publics de l’histoire, a largement révélé que le patrimoine était le fruit de reconstructions fondées sur des tris et des choix, d’oublis sélectifs comme de commémorations volontaristes: la situation des musées en fait à cet égard un objet remarquable. l’ancien régime des collections et des Patrimoines Au cours du XVIIIe siècle, le développement de la science antiquaire a renforcé les liens entre patriotisme et recherches artistiques ou archéologiques : les États européens, en Italie particulièrement, entreprennent de protéger leurs trésors des vicissitudes du marché en une prise de 20 | La mUSéoLogie, ChamP de...

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