In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

C. Bardiot Du théâtrophone au théâtre pour extensions mobiles : présences à distance dans les téléscènes« Si nous accordons la conscience, et tout ce qui nous distingue des objets, aux personnes qui nous entourent, aucun argument valable et sans réplique ne nous permettra de la refuser aux personnes créées par mon appareil. » Adolfo Bioy Casares, L’Invention de Morel, 1940. De plus en plus d’artistes déclarent « faire du théâtre » pour des dispositifs de présence à distance, qu’il s’agisse du réseau ou de nos extensions électroniques mobiles (téléphones portables, PDA, Ipod…). On peut regrouper ces différentes pratiques sous le terme générique de téléscène. Les téléscènes sont des scènes en réseau. Ces « scènes à distance » peuvent être soit des lieux numériques, comme des forums ou des environnements virtuels disponibles sur Internet, soit des lieux physiques, comme des plateaux de théâtre ou des cybercaf és reliés par Internet, ou par un réseau créé pour l’occasion. Les combinaisons de lieux numériques, hébergés sur des serveurs, avec des lieux physiques, sont multiples. La scène et la salle ne sont plus des entités circonscrites, mais éclatées, démultipliées, dispersées, leur nature et leur taille variant au rythme des connexions. Parmi la multiplicité des formes qu’a pu prendre le théâtre, un seul paramètre ne varie pas : la co-présence physique en un même lieu et un même temps des acteurs et des spectateurs. Cette co-présence est caractérisée par une absence de médiation (c’est ainsi que Benjamin distingue le théâtre du cinéma1 ). Or l’une des caractéristiques des téléscènes est justement l’absence de co-présence dans le hic et nunc de • 1 – Benjamin W., « L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique » (1939), in Œuvres III, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 2000, p. 269-316. C l a r i s s e B a r d i o t - 316 la représentation, avec pour corollaire la médiation : les spectateurs et les acteurs se rencontrent et communiquent entre eux par le réseau, par le biais d’interfaces numériques . La médiation serait synonyme d’une perte de présence : les acteurs seraient absents aux spectateurs, et chaque spectateur serait absent aux autres spectateurs – ce qui fait ressurgir la notion de public2 . Dans les téléscènes, où est le public et comment sa présence se manifeste-t-elle? Faut-il représenter le public et créer une salle virtuelle? Ou au contraire faut-il l’abstraire de la représentation et lui laisser simplement la possibilité de se connecter? Dans quelle mesure peut-il réagir ou participer? Dispersés aux quatre coins du monde, acteurs et spectateurs sont confrontés à un « drame des distances3» qui permet de repenser aujourd’hui l’organisation spatiale de la scène et de la salle, de l’espace de l’action et de l’espace de l’écoute et du regard. Premières expériences Si la téléprésence semble un phénomène récent au théâtre et lié à l’explosion d’Internet, on peut en trouver les prémices dans les trois grands procédés de présence à distance qui se développent au xxe siècle : téléphone, radio et image électronique. Le théâtrophone L’une des toutes premières applications du téléphone est le théâtrophone, une invention mise au point par Clément Ader pour l’Exposition internationale d’électricité à Paris en 1881. Le public pouvait entendre en direct, et individuellement , grâce à deux écouteurs, les spectacles joués à l’Opéra, situé à plus de deux kilomètres. Par la suite, la « compagnie du théâtrophone » propose à ses abonnés des spectacles joués dans divers théâtres parisiens. Le théâtrophone transforme l’expérience publique du théâtre en expérience privée et permet de multiplier les types de publics : on peut d’ores et déjà parler de salle partagée, avec des spectateurs présents dans la salle traditionnelle, et de salle distribuée, avec des spectateurs éparpillés à chacun des bouts du réseau téléphonique relié au théâtre. De plus, la place...

Share