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M.-M. Mervant-Roux Les soundscapes hantés d’Inferno1 Fabrique et dramaturgie de la sur-présence chez Romeo Castellucci« Qu’y a-t-il de singulier dans les pratiques artistiques qui utilisent le son électronique comme matériau?1 Quels sont les concepts nouveaux qui s’en dégagent? Est-ce que les technologies numériques transforment la pratique de l’art : l’objet, les lieux de diffusion, le rapport artiste – spectateur, producteur – consommateur, les réseaux de diffusion et de communication? […] Quels sont les rapports ou non-rapports entre la scène commerciale et la recherche? Quels nouveaux rapports la technologie numérique sonore vient-elle instaurer avec le visuel2 ? » On the Knocking Commençons par un constat. La plupart des exemples illustrant la notion contemporaine d’« effet de présence », entendu comme un fort sentiment de réalité face à une figure virtuelle, concernent des actants à allure humaine, des néo-personnages en quelque sorte, ou des néo-acteurs, que le spectateur appréhende principalement d’une façon visuelle : il réagit à des visages, des corps, des mouvements artificiels comme s’ils étaient naturels. Ainsi, cet effet ancien, récemment reconsidéré comme un élément-clé des nouvelles scènes technologiques, apparaît-il implicitement inscrit dans la double histoire séculaire de l’action dramatique classique et de la fantasmagorie. Or, il existe au théâtre une grande tradition de trucs et machines destinés à faire croire à des figures • 1 – Marie-Madeleine Mervant-Roux remercie Romeo Castellucci de l’avoir autorisée à publier les documents techniques. Elle remercie Scott Gibbons et Joost Fleerackers pour leurs contributions personnelles à ce travail. • 2 – Pontbriand C., Parachute, n° 107, Électrosons – Electrosounds, éditorial, juilletseptembre 2002, [en ligne]. M a r i e - M a d e l e i n e M e r v a n t - R o u x - 244 invisibles variées, humaines, non humaines, surhumaines, bien souvent ambiguës : je veux parler du bruitage et de ses machines à bruits. On sait depuis longtemps imiter l’orage, le vent, la mer, le galop des chevaux, plus récemment les trains, les voitures, les sirènes ou la sonnerie du téléphone. Il s’agit la plupart du temps de simples effets de réel : le bruit doit éveiller l’illusion contextuelle, faire vivre (autant que nécessaire) l’univers fictif, mais dans un certain nombre de cas, la sensation produite, beaucoup plus saisissante, est celle d’une « présence », au sens fort : quelqu’un ou quelque chose se manifeste acoustiquement de telle façon que le spectateur éprouve à la fois la facticité de l’indice, la vérité de ce que celui-ci révèle, l’hésitation sur la nature du phénomène. L’exemple historique le plus célèbre se trouve peut-être dans la scène 3 de l’acte II de Macbeth : les coups frappés à la porte de Macduff, au petit matin suivant la nuit du crime, produisent une impression très forte, commentée par de Quincey dans son célèbre essai : On the Knocking on the Gate3 . Le caractère acousmatique4 du son, l’ignorance de ce qui se trouve « derrière la porte » ont été savamment exploités par l’auteur-dramaturge. Alors que les travaux sur la notion de présence qui font aujourd’hui référence indiquent que celle-ci naît toujours d’un jeu ambigu entre l’animé et l’inanimé, le vivant et le mort, l’humain et le non-humain5 , ces bruits scéniques à fonction fantasmatique ne sont guère évoqués dans les recherches menées en ce domaine. Ils semblent pourtant devoir être classés parmi les formes anciennes de la « présence par défaut », dont Louise Poissant rappelait en 2007 qu’elle constitue l’une des grandes catégories d’effets de présence6 . Elle-même proposait pour illustrer cette catégorie La Voix humaine de Cocteau. Un choix qui mérite d’être commenté, car il permet de nuancer et de compléter le constat qui ouvre cet article : lorsque le sonore, exceptionnellement, est pris en compte, c’est soit sous la forme de voix – enregistr ées, médiatisées ou reconstituées –, soit sous la forme d’espaces immersifs plus ou moins chimériques que nous pouvons qualifier d’a-dramatiques : la vieille dualité personnages/décor est ainsi préservée. Dans sa propre intervention, principalement...

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