In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

A. Martin Utopie et autres lieux du corps« Il y a eu cosmos, le monde des places distribuées, les lieux donnés par les dieux et aux dieux. Il y a eu res extensa, cartographie naturelle des espaces infinis et de leur maître, l’ingénieur conquistador, lieu-tenant des dieux disparus. Vient à présent mundus corpus, le monde comme le peuplement proliférant des lieux (du) corps1 . » À l’automne 2007, j’écrivais un premier article traitant du projet, un peu fou, et carrément colossal, de l’Abécédaire du corps dansant2 (photographie 11 [a, b, c, d, e], planche V). J’y expliquais le concept même de cette entreprise, en en traçant le squelette et en donnant les paramètres de la structure envisagée. J’y expliquais aussi, entre autres choses, la position et la posture du corps comme incarnation propre et unique de l’Abécédaire, la rencontre du réflexif, du dit, du corporel et du dansé, et la fameuse position de la lectrice. Position un peu étrange dans une proposition dansée, mais position tout de même assumée et voulue comme telle. L’essai entamé ici est en quelque sorte la suite logique de cet article, à la différence près qu’il ne s’attarde plus aux premières modalités de ce qui fait et constitue l’Abécédaire dans ses fondements théoriques, corporels et structurels. Il se concentre plutôt sur un certain nombre de réflexions et de constats apparus au cours des processus renouvelés de recherche et de création. On ne peut passer plus de trois ans à regarder, analyser, scruter, travailler le corps – du dedans comme du dehors – sans que cela ne nous conduise à réinterroger nos postures initiales et à en tirer quelques hypothèses que nous espérons valables. Ces éléments n’ont pas valeur d’absolu. Loin de là. Ils résultent cependant d’une expérience répétée de création, de recherche et de réflexion; d’une pratique réflexive et « critique • 1 – Nancy J.-L., Corpus, Paris, Éditions Métailié, 2000, p. 36. • 2 – Martin A., « Anatomie d’un projet », Paysages du corps, Cahiers de théâtre Jeu, n° 125, décembre 2007, p. 117-121. A n d r é e M a r t i n - 126 qui combine sensibilité et filtration3», points de vue et pensée sur. Mais toute vérité étant porteuse en elle-même de son propre mensonge, il ne saurait y avoir d’affirmation ici qui ne puisse être repensée, discutée, contestée, ou du moins précisée, raffinée. Une chose est certaine, c’est que nous avons appris à faire la différence entre ce qui relevait de la danse et ce qui appartenait au « chorégraphique », comme à l’action corporelle quotidienne et à la simple attitude posturale . Nous avons aussi ressenti le besoin de comprendre davantage la limite entre recherche gestuelle et mise en scène et ce, pour mieux situer le type de travail que nous faisions. Déceler les subtilités de ce que nous étions en train de faire et les chemins sinueux parcourus jusque-là. Nous avons compris aussi qu’il y avait au moins deux types de pensée dans le champ de la danse, une pensée sur le corps et une approche proprement corporelle où le corps est pensé de l’intérieur, à partir de celui-ci, par et à travers ce dernier. C’est de là, de ce lieu de l’impossible, que surgit la danse. Quel corps? Le corps, dans l’Abécédaire, se constitue en un lieu d’expérience et d’expérimentation extrêmement vivant, changeant et fuyant4 . Toujours là où on ne s’y attend pas, plus ou pas encore, incroyablement variable, à la fois temporel et intemporel, solide, fluide et musculaire, parfois impalpable et improbable. C’est un terreau fertile de savoirs ; savoir-faire et savoir-être bien sûr, mais aussi savoir-exister, savoir-interpréter, savoir-chercher, savoir-(s’)interroger. Un ou plutôt des corps, questionnés de toutes parts, de A jusqu’à Z, à la fois organiques et exprimables, structurés et désordonnés; traversés et révélés autant par le travail et la mise en scène du corps lui-même que par la sémantique des mots; la réflexion naissant de l’action...

Share