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L. Goldring Hypothèse # 4 : le cinéma fait son spectateur Préambule à la retranscription J’avais l’intention de construire une généalogie du spectateur de cinéma, comme matrice des transformations actuelles du spectacle (encore) vivant. Pour que la séance de cinéma comme déroulement technique du temps et répétition à l’identique du même arrive à s’imposer, il a fallu qu’un très lourd dispositif immobilise les spectateurs. Ce dispositif n’est pas seulement architectural et disciplinaire – salles imposantes où l’on cesse progressivement d’avoir le droit de bouger, d’entrer et de sortir, où la norme oblige à regarder en silence du début à la fin (posture encore ridiculement Verdurin au temps de Proust et de Chaplin) – ce dispositif est également narratif, avec le primat du « suspens » comme suspension tétanisée de tout mouvement de la part du spectateur (Hitchcock et Selznick d’accord pour couper les scènes où les fauteuils osent grincer), et éthique : c’est l’unisson des spectateurs qui construit l’étayage réciproque et nécessaire d’une lisibilité, dans l’expérience indéfiniment réussie du consensus : un bon mélo c’est un film où tout le monde pleure en même temps, une bonne comédie, un film où tout le monde rit en même temps aux mêmes gags. Comme « tout le monde » a pour vocation d’être suppléé par la boîte à rires, plus fiable, la place du spectateur pouvait déjà s’anticiper dès Orange Mécanique (photographie 1 a), même s’il était encore inimaginable que cette adaptation puisse se dispenser de tout tragique. Ce spectateur de cinéma est en train de devenir le modèle du spectacle vivant et je voulais centrer mon intervention sur la façon dont le type de projections adoptées dans Is You Me (chorégraphié avec Benoît Lachambre) a été pensé comme contre-proposition à la mise au pas de la danse contemporaine par l’utilisation massive sur la scène actuelle du mélange des images et des performeurs. L a u r e n t G o l d r i n g - 114 Photographie 1 (a, b, c) : de gauche à droite : a- Orange Mécanique de Stanley Kubrick, 1971, DR. b et c- Fenêtre sur cour d’Alfred Hitchcock, 1954, DR. Retranscription de l’intervention Je vais essayer de dire comment et de quelle façon j’en suis venu à travailler sur le spectacle Is You Me. Mon travail, dans le cadre duquel j’ai rencontré Benoît Lachambre, a commencé par un travail sur la représentation. Je me suis attaché à la représentation du corps, en essayant de voir jusqu’où était vraie cette vulgate actuelle selon laquelle toutes les images auraient déjà été faites… Le réel, et tout particulièrement le réel du corps, aurait été plus ou moins complètement exploré… Désormais il ne s’agirait plus que de jouer avec ces images […] de les faire circuler, de les présenter autrement , et d’inventer de nouvelles façons de les partager. J’ai commencé ce travail (dernière fois de ma vie que je prononce ce vocable, je ne comprends pas pourquoi, après avoir réussi à fuir la chose, je continue à être encombré du mot) en m’attachant à la photographie d’une part, à l’image animée de l’autre. Pour mon propos, la différence entre vidéo, cinéma, ou image numérique est marginale, c’est-à-dire qu’en faisant une sorte d’archéologie des images je me suis rendu compte assez vite que découvrir ce qui se disait aujourd’hui sur la vidéo, c’était retrouver très vite ce qui pouvait se dire sur le cinéma à sa naissance, et en remontant au-delà du cinéma, à ce qui s’était dit sur la photographie. Il y a une espèce de permanence des discours, de rémanence, et même s’il y a des choses qui viennent s’y attacher, il y a un discours (de fond) qui subsiste, un discours qui fait de l’image analogique – que l’appareil photo ou la caméra soit numérique ou analogique ne change rien –, une image qui ressemble, qui est censée ressembler, qui fait office de ressemblance, qui est la seule image qui permette de se poser la question de savoir...

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