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Cosmologies artificielles De la fertilité des mondes numériques CANADA Nicolas REEVES Architecte et physicien de formation, Nicolas Reeves est professeur de design à l’Université du Québec à Montréal . Directeur scientifique de l’Institut Hexagram de recherchecr éation en arts et technologies médiatiques de 2001 à 2012, vice-président de la Société des arts technologiques (SAT) de 1998 à 2008, il dirige le laboratoire de design NXI GESTATIO . Ses œuvres ont été montrées au Grand Palais, au Théâtre du Châtelet et à la Maison européenne de la photographie (Paris), en Russie, aux États-Unis, ainsi qu’au Brésil . Nous emploierons le terme «univers numérique» pour désigner un champ de nombres dans lequel se produit une évolution quelconque, menant à l’émergence d’un phénomène impossible à prévoir à partir des conditions initiales qui y règnent : l’évolution d’un automate cellulaire, la gestation d’une forme architecturale ou artistique, l’émergence d’une configuration spatiale ou d’un comportement robotique, l’approche progressive de la solution à un problème d’ingénierie… Il est difficile à cette étape d’en produire une définition rigoureuse, mais un espace cartésien standard à N dimensions, muni d’une procédure évolutive à N paramètres qui correspondent aux coordonnées de l’espace, en fournit une bonne illustration . Le nombre de dimensions, la structure et la population de l’univers numérique sont déterminés par les conditions initiales . Quel que soit l’objectif de l’évolution, sa mise en œuvre passe nécessairement par un processus de formalisation, processus qui, à toutes fins pratiques, équivaut à une numérisation: le traitement d’un objet par ordinateur exige qu’on le mesure d’une façon ou d’une autre, en évaluant sa géométrie, sa taille, ses couleurs, sa texture, pour en extraire une liste de nombres . Si, dans le cadre d’un projet 220 Bioart de conception particulier, deux nombres suffisent à définir l’objet, l’univers numérique sera de dimension deux: dans un univers peuplé de sphères dont on ne spécifie que le rayon en millimètres et le poids en grammes, ces deux quantités correspondront aux deux dimensions de l’univers . Toute paire de nombres correspondra à une sphère: écrire (10, 200) équivaudra à écrire «une sphère de rayon 10 mm, qui pèse 200 grammes» . Déclarer que cet espace est peuplé de sphères est entièrement arbitraire et dépend uniquement de la question initialement posée par le concepteur . L’espace pourrait tout aussi bien être peuplé d’éoliennes dont on précise le nombre et le gauchissement des pales, ou de sons dont on ne spécifie que la fréquence et la durée . Le même raisonnement s’applique évidemment à tout objet numérisable, quelle que soit sa complexité; dès lors que le concepteur établit son projet, les dimensions et la population de l’univers numérique sont entièrement définies . Formes sans qualités Les univers numériques sont peuplés uniquement de formes, entités qui, tant qu’elles demeureront au sein de l’ordinateur, resteront dépourvues de qualités, de sens ou de signification: la formalisation est une réduction radicale de l’objet . Dans le cadre de cet essai, le mot «forme» s’appliquera non seulement à des entités matérielles, comme des objets dont on mesure les dimensions, les couleurs et les textures, mais également à des concepts plus abstraits, tels qu’une partition musicale, la structure ou le texte d’un roman, le plan d’un scénario de film… La formalisation entraîne des risques importants au regard des confusions de genre, des interprétations fallacieuses, des validations parallèles . Mais l’intérêt de ces informations dénuées de sens est apparu tôt dans l’histoire . Les premiers copistes du Coran vérifiaient la conformité de leur travail avec l’original en comptant le nombre d’occurrences de chaque lettre, puis en comparant les résultats avec une liste de contrôle . Ce type de vérification, qui ne tient aucun compte de la signification des mots et des phrases, fonctionne de la même façon qu’un des processus informatiques les plus couramment utilisés aujourd’hui pour contrôler l’intégrité des copies de fichiers . En plus d’illustrer le lien entre les mots «forme» et «information», cet exemple introduit un autre lien...

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