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C h A P I t r e2 FaiRe Face aux inceRtitudes du Lendemain la mort, la famille et le droit civil dans le québec colonial Jean-PhiliPPe Garneau Département d’histoire Université du Québec à Montréal malgré le ton polémique de la propagande électorale, les deux vignettes placées à la figure 2.1 illustrent assez bien, je crois, l’importance de la solidarité familiale comme réponse aux aléas de la vie en cette fin de xviiie siècle. Mais, surtout, elles laissent deviner combien cette solidarité ne va pas de soi et exige un travail de régulation auquel participent le droit et la justice (représentés ici sous les traits caricaturaux de l’avocat intéressé, artisan de la ruine des familles). La vulnérabilit é des personnes à charge s’exprime clairement par l’image du«vieillard» incapable de subvenir à ses besoins. Les causes de cette fragilité sont également visibles par la mort d’une mère qui, selon toute vraisemblance, laisse ses enfants à la merci d’un parâtre ou d’un demi-frère peu conciliant. Le concept de risque, malgré ses multiples usages et le lien étroit qui l’associe à la modernité, me semble pouvoir être convoqué ici avec profit, même dans le contexte du Québec colonial qui a vu se développer une paysannerie relativement indépendante 58 Pour une hIstoIre du rIsque mais jamais exempte de menaces comme la mort ou la pauvreté. Dans une société rurale dominée par l’économie domestique, les solidarités de base – famille et communauté locale – constituent bien sûr une ressource primordiale pour faire face à l’avenir et à ses incertitudes. Mais le destin des familles se construit patiemment, au fil des temps forts de la vie, selon une logique patriarcale de reproduction sociale qui articule lien familial et accès inégal aux richesses (la terre notamment ). Dans ce contexte, le droit civil propose une représentation particulière des risques pour la famille légitime, et si cette matrice juridique influence la pratique juridique en la matière, elle révèle aussi les préoccupations et les réponses propres aux hommes et aux femmes devant l’opacité de leur avenir. Figure 2.1 extraits d’une affiche électorale publiée à Québec à la fin du xviiie siècle* L’homme (gauche): «Je ne suis pas obligé de soutenir mon père.» L’avocat: «Mettez ce vieillard à la porte qu’il travaille pour gagner sa vie.» La femme: «Nous sommes misérables depuis la mort d[e n]otre mère.» L’avocat: «Il me faut payer des honoraires.» L’homme: «Ils veulent nous mettre à la porte.» * L’affiche électorale, non signée ni datée, comporte plusieurs vignettes chapeautées par un intitulé et un commentaire que je reproduis ici en partie: À tous les ÉLECTEURS. MESSIEURS, et Concitoyens de la Haute Ville de Québec. Le dessein de ce Tableau est de déterminer lequel des deux, le Marchand ou l’Avocat, est le plus propre à vous représenter ? – Le Marchand acquiert son bien par l’harmonie qui règne entre les Citoyens, par l’industrie des Cultivateurs ; – l’Avocat au contraire n’acquiert le sien qu’en suscitant et entretenant des mésintelligences entre les Citoyens, en séparant le père du fils, en divisant la sœur et le frère, la fille et la mère. […] Source: McGill University, Redpath Library (rare books), Lande Canadiana Collection, no 1934. [3.135.190.101] Project MUSE (2024-04-26 02:07 GMT) FAIre FACe AuX InCertItudes du lendeMAIn 59 Pour illustrer mon propos, je m’attarderai au cas de la «mort prématurée» dans le contexte du xviiie siècle québécois, en prenant soin de mesurer les conséquences de cet aléa structurel sur le réseau d’entraide, mais aussi sur les pratiques de transmission du patrimoine familial au cœur de la reproduction sociale de l’Ancien Régime. Nous verrons la part que l’univers juridique a prise, parfois bien au-delà du xviiie siècle, dans les appréhensions de la mort, surtout dans les pratiques de socialisation que cet aléa suscite chez la paysannerie canadienne . Mais, auparavant, quelques remarques sur la notion de risque s’imposent. 1. Risque, histoiRe et société«tRAditionneLLe » Réfléchir sur le thème du risque en histoire n’est pas sans poser quelques difficultés...

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