In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

C h A P I t r e6 un Risque paRmi tant d’autRes l’utilisation des sirops calmants au québec, 1825-19491 Marie-aiMée CliChe Département d’histoire Université du Québec à Montréal Être enfant, c’est être à risque, disent les spécialistes de la protection de l’enfance. Et nul ne conteste qu’il incombe avant tout aux parents de protéger leurs petits contre les multiples dangers qui les guettent. Dans la société traditionnelle, cette responsabilité était assumée principalement par les mères, qui devaient en même temps vaquer aux soins du ménage et parfois se charger d’autres besognes, rémunérées, pour assurer la survie de la famille, même si ce dernier rôle était plutôt dévolu au père. D’où la nécessité de prendre, de temps à autre, des risques calculés pour mener à bien ces différentes tâches. Ce n’est que graduellement, et non sans réticences, que l’État a accepté d’intervenir pour aider les parents, notamment en légiférant pour écarter les dangers les plus menaçants. L’utilisation des sirops calmants destinés à endormir les bambins constitue, dans cette histoire de la protection des enfants et des soins qu’on leur doit, un épisode qui se déroule à la fin du xixe et au début 1. Ce travail a été réalisé dans le cadre plus vaste d’une recherche sur l’histoire du filicide au Québec, 1775-1965. Nous remercions l’évaluateur qui a commenté une première version de cet article pour ses judicieux conseils. 140 Pour une hIstoIre du rIsque du xxe siècle, dans le contexte de la «médicalisation de la maternité», selon l’expression de Denyse Baillargeon2. À cette époque, les médecins d’Europe et d’Amérique du Nord entreprennent de lutter contre la mortalité infantile, qui atteint un taux de 289 pour 1000 naissances dans les familles canadiennes-françaises de Montréal3. Passant sous silence des risques aussi importants que ceux qui étaient associés à la pauvreté, ils attribuent cette hécatombe en grande partie à l’ignorance des mères. Représentants d’un nouveau discours sur les risques sanitaires , ils tentent d’inculquer aux femmes des notions d’hygiène, en lieu et place des pratiques traditionnelles transmises de mère en fille, qu’ils qualifient avec dédain d’«histoires de bonnes femmes» ou «old wives’ tales4 ». Leurs efforts comprennent la rédaction de livres de puériculture ainsi que la création en milieu urbain de dispensaires gratuits comme la Goutte de lait, qui fournissent à la fois des conseils aux mères, des consultations médicales et du lait de bonne qualité pour les bébés. Mais ces interventions directes auprès des mères ne suffisent pas. Un autre danger apparaît avec le développement de l’économie de marché: la mise en vente de médicaments brevetés ou patentés, appelés aussi médicaments secrets parce que leur contenu n’est pas décrit sur la bouteille5. Parmi eux figurent les sirops calmants, à base de morphine ou d’opium, destinés à faire dormir les bébés. Tandis que la publicité en vante les mérites dans les journaux, permettant ainsi une diffusion assez large de ces remèdes dans les familles, les médecins se tournent vers l’État pour demander la suppression ou du moins la réglementation étroite de ces produits qu’ils jugent dangereux. Cet article vise à analyser la polémique sur les sirops calmants qui fait rage pendant quelques dizaines d’années au Québec et qui met aux prises médecins, fabricants de sirop, commerçants et mères de famille. 2. Baillargeon, D. (2004). Un Québec en mal d’enfants. La médicalisation de la maternité, 19101970 , Montréal, Remue-ménage. 3. Ibid., p. 40. 4. Knibiehler, Y. et C. Fouquet (1983). La femme et le médecin. Analyse historique, Paris, Hachette, p. 235; Rollet-Echalier, C. (1990). La politique à l’égard de la petite enfance sous la IIIe République, Paris, Presses universitaires de France, Institut national d’études démographiques, p. 573; Apple, R. (1987). Mothers and Medicine. A Social History of Infant Feeding, 1890-1950, Madison, University of Wisconsin Press, p. 55, 85, 104 et 115; Comacchio, C.R. (1993). Nations Are Built of Babies. Saving Ontario’s Mothers and...

Share