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3 La fin du mariage comme institution pérenne, universelle et publique 30 Quand l’amour et l’État rendent aveugle Si le droit matrimonial avait jusque-là été pensé dans un contexte d’indissolubilité du mariage, dès les années 1960, il fallut revoir celui-ci en fonction de la Loi sur le divorce. Comme le démontrait Renée Dandurand, ce n’est pas seulement la montée de l’individualisme et de l’importance du sentiment amoureux qui influence le mariage et, plus largement, la conjugalité: c’est tout le système qui sous-tendait cette institution qui s’est désarticulé. L’accès des femmes à l’éducation supérieure, au travail salarié et à la contraception1 a modifié radicalement les rapports entre les sexes, notamment en regard du mariage. Ces avancées allaient permettre aux femmes, d’un point de vue matériel, de vivre en dehors des liens du mariage. Les changements de mentalités allaient aussi modifier le rapport des Québécois à l’Église catholique et atténuer les contraintes morales à la vie hors mariage pour les hommes et les femmes. Dans les années récentes, le pacte social qui assignait aux hommes et aux femmes des rôles distincts, mais complémentaires, s’est radicalement transformé. Au Québec, en 2008, plus de 80% des mères d’enfants de moins de 12 ans sont sur le marché du travail et la majorité travaille à plein temps (ISQ, 2009). Pour une part de plus en plus importante de la population féminine, vivre en dehors des liens du mariage n’est plus nécessairement synonyme de pauvreté. Ce changement a eu des répercussions importantes sur le rôle du mariage dans la société et particulièrement dans la vie des femmes. Le mariage est devenu un véritable choix pour ces dernières, bien que les inégalités salariales entre les hommes et les femmes demeurent importantes. Prenant acte, d’abord, de la désarticulation du «système matrimonial», nous tenterons ensuite de montrer comment l’Église et l’État ont contribué, souvent de manière indirecte, à accentuer le caractère privé du mariage. Il s’agira de faire ressortir certaines interactions entre le droit, les représentations sociales et les pratiques des conjoints qui seront davantage explorées dans les chapitres suivants. La privatisation progressive du mariage dans les représentations sociales serait une autre des racines du mythe du mariage automatique. La désarticulation du «système matrimonial» Le mariage est sans doute l’une des institutions sociales les plus anciennes. Il a permis de réguler les rapports entre les sexes, notamment par le contrôle de la sexualité et de la procréation, et d’instituer la paternité en donnant aux enfants un père. Dans les 1. Au sujet de la reconnaissance par la loi du droit des femmes à contrôler leur fécondité et de l’impact politique majeur de ce phénomène, voir Tahon (2010). [3.145.8.141] Project MUSE (2024-04-20 02:19 GMT) La fin du mariage comme institution pérenne, universelle et publique 31 sociétés paysannes, la famille était une unité de production des moyens d’existence impliquant le travail complémentaire des hommes, des femmes et de leurs enfants en un même lieu. La société industrielle a radicalement accru la division sexuelle du travail, au point où les hommes et les femmes ont occupé des espaces et des rôles encore plus distincts. L’entrée dans la vie adulte et les principaux référents de l’identit é sociale des hommes et des femmes se sont ainsi polarisés. L’insertion sur le marché du travail marquait bien davantage la destinée des hommes/pourvoyeurs, et le mariage, celle des femmes/ménagères. Deux transitions importantes ayant affecté la vie conjugale sont identifiées dans la littérature. La première transition, mise en évidence par Ernest Burgess (1945), correspond au passage du mariage comme institution au «mariage compagnonnage», où les sentiments entre partenaires deviennent centraux dans la réussite du mariage. Tout en occupant des rôles sexués très distincts, les couples, au tournant du 20e siècle, ont en effet accordé une place de plus en plus importante à la relation affective entre conjoints, phénomène qui tranchait avec la période précédente. Néanmoins, le mariage demeurait à cette époque, au Qu...

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