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2 Les régimes matrimoniaux et l’influence des notaires 16 Quand l’amour et l’État rendent aveugle La spécificité du mariage au Québec a pris naissance dans un enchevêtrement­ d’événements historiques et contemporains. La seconde moitié du 19e siècle fut marquée notamment par l’enchâssement progressif de la dimension légale et religieuse du mariage. L’influence grandissante de l’Église dans la gestion du mariage s’est doublée du recul de la pratique consistant à rédiger un contrat devant notaire. Ce double mouvement semble avoir accru la puissance symbolique du religieux au détriment de l’aspect proprement civil et légal de ces unions dans les représentations sociales du mariage. Ainsi, dans l’analyse des relations entre le droit et les mœurs, se dessine le rôle central des notaires comme conseillers auprès de la population. Alors que le curé transmettait la dimension symbolique du mariage, les notaires au Québec étaient les porteurs désignés de sa dimension juridique. C’était à eux que s’en remettaient les familles pour comprendre les impacts légaux des décisions matrimoniales. Au cours de l’histoire, on a pu constater que la visite chez le notaire avant le mariage fut une pratique variable, qui a été plus ou moins répandue selon les époques, les milieux et les régimes légaux en vigueur. Entre le début du 20e siècle et la fin des années 1970, en particulier, on voit apparaître de multiples décalages entre le droit matrimonial et les changements de mentalités dans la population québécoise. En effet, on observe d’abord que les changements de mentalités tardent à être pris en compte par les lois et, inversement, dans les années plus récentes, que les changements de lois dans le domaine matrimonial tardent à se faire sentir dans les arrangements que réalisent les couples avec l’aide de leur notaire. Avant tout, quelques précisions s’imposent au sujet des régimes matrimoniaux. Un régime matrimonial est un ensemble de règles gouvernant les rapports pécuniaires des époux. Si elle peut sembler technique, la distinction entre contrat de mariage* et régime légal* est importante pour comprendre l’évolution du mariage au Québec. Sans entrer dans les détails, soulignons simplement que ce que l’on désigne par régime légal est le régime matrimonial qui prévaut par défaut, soit lorsque les conjoints se marient sans signer de contrat devant un notaire. Essentiellement, deux régimes légaux se sont succédé au cours de l’histoire: la communauté de biens*, qui était le régime prévu sous la Coutume de Paris* puis au Code civil du Bas-Canada, et, à partir des années 1970, le régime de la société d’acquêts*. L’acte notarié, ou si l’on veut le contrat de mariage, a traditionnellement été exigé pour tous ceux qui souhaitaient apporter certaines précisions au régime légal et pour ceux qui ne souhaitaient pas être soumis à celui-ci. Le contrat en séparation de biens* fut la principale alternative au régime légal que proposaient les notaires, comme nous le verrons. La visite chez le notaire n’était donc pas obligatoire. [3.145.186.6] Project MUSE (2024-04-25 14:43 GMT) Les régimes matrimoniaux et l’influence des notaires 17 Les couples du Québec ont toujours pu se marier sans trop se soucier des­ questions légales, puisqu’ils bénéficient automatiquement du régime légal en vigueur. Selon les époques, on constate que la visite chez le notaire s’est inscrite parfois dans les rites du mariage de la quasi-totalité des couples québécois, alors qu’à d’autres époques, seule une minorité recourrait aux services de ces représentants du droit. Nous tenterons de comprendre ces mouvements, car ils s’avèrent, à notre avis, des témoins importants du sens donné au mariage par les citoyens. La visite chez le notaire, en effet, pourrait constituer un moment clé dans leur compréhension de ce qu’est un régime matrimonial, leur permettant de faire un choix éclairé. Or, cette prémisse mérite quelques nuances, comme nous le verrons. Le contexte historique Au début du 19e siècle, les Canadiens français, contrairement aux anglophones...

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